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digne de son talent : « Est-ce que Haendel est mort? » ne pouvant croire qu’un pays qui possédait un si beau génie pût s’adresser à d’autres compositeurs. Son apparition à Londres ne fut que de courte durée. Après avoir dirigé la mise en scène de son opéra Artaserse, il quitta bien vite cette ville, où il ne pouvait jouer qu’un rôle secondaire à côté du musicien illustre dont l’Angleterre s’est approprié la gloire. A Dresde même, au centre de son autorité, Hasse eut à se défendre contre le vieux Porpora, qui avait été nommé professeur de chant de la princesse héréditaire, une archiduchesse d’Autriche. Depuis qu’ils s’étaient rencontrés à Naples en 1726, ces deux célèbres compositeurs s’étaient voué une haine cordiale que le temps n’avait pas adoucie. Porpora n’avait pu pardonner au jeune Saxon d’avoir dédaigné son enseignement pour celui de Scarlati, et Hasse avait conservé un souvenir très amer des rapports qu’il avait eus avec le vieux maître napolitain. L’accueil tout gracieux qu’on fit à Porpora, son influence sur l’esprit de la princesse héréditaire de Saxe qui chantait avec goût, excitèrent la jalousie de Hasse qui, en sa qualité de maître de chapelle, saisit la première occasion qui se présenta de jouer à son rival un tour de son métier.

Il y avait alors à Dresde une élève de Porpora, Regina Mingotti, qui est devenue une des plus célèbres cantatrices du XVIIIe siècle. Douée d’une voix magnifique et d’une intelligence plus qu’ordinaire, la jeune Mingotti était l’objet de toutes les conversations, et, à la cour aussi bien qu’à la ville, on attendait ses débuts avec la plus vive impatience. On peut s’imaginer de quelle inquiétude Hasse fut saisi quand il vit s’élever cet astre nouveau qui pouvait au moins diminuer l’éclat de la cara Faustina. En époux dévoué et en amant jaloux de la gloire de sa belle, Hasse essaya d’empêcher le succès de la débutante au moyen d’une petite malice qui a été souvent imitée depuis, et que M. Scribe a reproduite dans son joli opéra-comique le Concert à la Cour. Dans un air qu’il écrivit expressément pour la Mingotti dans l’opéra Demofoonte, il mit un accompagnement perfide qui, au milieu d’un andante appassionato, devait produire l’effet d’un tic-tac de moulin. La Mingotti aperçut le piège à la répétition générale, et, sans dire un mot à personne, elle s’étudia en secret à vaincre la ruse par l’adresse. L’air se tutti i mali miei, où devait échouer sa réputation naissante, fut un triomphe pour la jeune prima donna, qui l’a chanté depuis avec le même succès dans toutes les capitales de l’Europe.

La Faustina n’a-t-elle jamais suivi son mari dans les fréquens voyages qu’il a faits en Italie pendant les trente années qui s’écoulèrent depuis son arrivée à Dresde comme maître de chapelle du roi de Pologne? Les biographes ne sont pas d’accord sur ce fait particulier de la vie de l’aimable couple, et Rochlitz lui-même, qui a consacré à la