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de la renaissance. Trois grands musiciens dominent cette époque : Palestrina, le sublime restaurateur du style religieux et le chef de l’école romaine; Roland de Lassus, né à Mons en 1520, qui vécut long-temps à la cour de Bavière, où il est mort en 1595, un an après Palestrina, et Jean Gabrielli, chef de l’école de Venise, où il était organiste de l’église Saint-Marc de 1585 à 1612. Ces trois hommes, qui se ressemblent par l’uniformité des procédés, se distinguent aussi par des nuances assez vives. C’est la grandeur, l’onction et la sérénité qui caractérisent le génie de Palestrina, qui se meut avec grâce dans l’ancienne tonalité du plain-chant sans jamais en franchir les limites, ni faire pressentir qu’elles pourront être dépassées après lui. Il y a plus de mouvement, plus d’inquiétude, plus de fantaisie et moins de correction dans le génie touchant de Roland de Lassus. Ainsi que Palestrina, dont il est l’émule, Lassus reste fidèle aux moyens déjà connus pour exprimer sa pensée, tandis que Jean Gabrielli, qui a toujours vécu à Venise, où il est mort dix-sept ans après ses deux illustres contemporains, est un précurseur des temps nouveaux, un esprit hardi qui ne se contente plus de la tradition, et dont les œuvres diverses, remplies de rhythmes incidentes et de modulations chromatiques, font pressentir l’arrivée de Monteverde, appartenant aussi à l’école de Venise, et le vrai créateur du drame lyrique. Ainsi donc c’est à Venise, dans cette ville unique, point d’intersection entre le Nord et le Midi, que se sont produits les deux plus grands événemens de la renaissance : c’est de là que se propagèrent la couleur à l’huile et la modulation, qui ont donné à la peinture et à la musique, ces deux arts essentiellement modernes, les moyens de reproduire les accidens de la lumière et ceux de la passion, les phénomènes du monde extérieur et ceux du monde moral, c’est-à-dire la vie. Ce sont des admirateurs du génie italien et particulièrement des disciples de Jean Gabrielli, le chef audacieux de l’école de Venise, qui ont introduit en Allemagne le drame lyrique et avec lui toutes les délicatesses de l’art de chanter. Ces disciples peuvent se diviser en deux groupes différens, les compositeurs dramatiques, qui ont imité avec plus ou moins de docilité l’opéra italien, et les compositeurs de musique religieuse, qui se sont montrés au moins aussi soumis. Parmi les premiers, il faut citer d’abord Henri Schütz, que nous avons déjà nommé, Graün, le musicien favori du grand Frédéric, et beaucoup d’autres qu’il est inutile d’arracher à l’obscurité qui les couvre, chaîne d’imitateurs qui se prolonge jusqu’à Winter. Parmi les seconds se trouvent Jean Eccard, Stobäus, Henri Albert, Michel Praetorius, Henri Schütz et Graün, qui se sont essayés dans les deux genres, surtout le dernier, dont tout le monde connaît le bel oratorio, la Mort de Jésus.

C’est en combattant l’influence de ces maîtres habiles que l’art