Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/615

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jugé national. Enfin le jeune sultan lui-même, trop souvent indécis, chancelle quelquefois dans le concours qu’il prête aux idées nouvelles, et abandonne ses meilleurs amis au milieu de leurs entreprises les mieux inspirées.

L’emprunt récemment conclu à Paris et à Londres au nom de la banque de Constantinople était une de ces mesures simples et excellentes qui, tout en sortant des habitudes administratives des Osmanlis, méritaient les plus fermes encouragemens d’Abdul-Medjid. Les finances ottomanes eussent-elles été prospères, que la Turquie aurait eu tout à gagner à faire un appel aux capitaux de la France et de l’Angleterre. L’avantage eût été immense, surtout si, comme on le proposait d’abord, le gouvernement turc avait donné pour garantie les tributs des principautés du Danube et de l’Égypte. Les intérêts privés comme les intérêts publics des deux grands pays de l’Occident eussent été liés dès-lors par une étroite solidarité à tous ceux de l’empire. Sans avoir tout-à-fait les proportions et le caractère qu’on lui voulait donner d’abord, l’emprunt ottoman, tel qu’il a été conclu, promettait les plus heureuses conséquences. La Bourse de Paris et celle de Londres l’avaient accueilli avec une faveur marquée. Habituées à élever des autels à tous les dieux solvables, elles avaient déjà introduit Mahomet dans leur temple. On sait qu’en principe tout prêt à intérêt est réprouvé par l’islam. Le code Moulteka, qui depuis Soliman-le-Grand est la loi de l’empire, et qui est basé sur le Koran et sur la Sunna, — c’est-à-dire sur la théorie et la pratique du prophète, — s’exprime à cet égard en termes formels et précis. Au chapitre du lucre illicite dans le commerce, après avoir énuméré les cas qui se rangent sous cette définition, les ventes à faux poids par exemple, le code Moulteka ajoute : « Enfin les intérêts des fonds que l’on prête sont aussi un lucre illicite. » C’est la gratuité du crédit de nos socialistes, telle d’ailleurs qu’on la retrouve dans les primitives législations de l’Asie et jusque chez les pères de l’église. La gratuité du crédit a d’ordinaire une conséquence bien naturelle : c’est l’usure. La Turquie en a de bonne heure souffert dans des proportions effrayantes, et c’est déchirée par cette lèpre qu’elle a consenti, depuis quelques années, à faire l’essai du crédit régulier ; encore est-il dans l’enfance à Constantinople et n’existe-t-il guère dans les provinces non chrétiennes ; en outre il n’a employé jusqu’à présent que des capitaux du pays. C’était donc une nouveauté téméraire, humiliante et irréligieuse aux yeux de la vieille école, que de contracter avec les capitalistes étrangers des obligations que l’on eût été forcé de tenir. On n’aurait point été plus inquiet dans ces régions favorites de l’ignorance, si la Turquie s’était livrée pieds et poings liés à la France et à l’Angleterre. Voilà pour la question de principe. Puis sont venues les influences diplomatiques les plus hostiles à la Turquie, et cependant les plus écoutées en cette occasion. Elles avaient beau jeu en présence de pareils préjugés. Peut-être les négociateurs de l’emprunt avaient-ils de leur côté dépassé en quelques points leurs instructions ; cette circonstance a fourni de nouveaux argumens contre l’opération ; le sultan, qui aurait peut-être eu le courage de braver les murmures des oulémas et les remontrances de la diplomatie, s’est senti blessé dans ses susceptibilités de souverain. De là cette résolution, inspirée à la fois par la faiblesse et par l’orgueil, qui brise les liens établis par l’emprunt entre les intérêts publics de la Turquie et les intérêts privés de l’Occident, et donne la plus fâcheuse idée de la capacité administrative des Turcs. La révolution