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Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/691

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il faut croire que les moyens que vous avez employés n’y étaient pas propres. Eh ! croyez-moi, monsieur le duc, revenez d’une erreur qui vous a causé déjà tant de chagrins : je n’ai jamais cherché à diminuer le tendre attachement que cette généreuse femme vous avait voué ; elle m’aurait méprisé, si je l’avais tenté. Vous n’avez eu auprès d’elle d’autre ennemi que vous-même. Le tort que vous ont fait vos dernières violences vous indique la route qu’il faut tenir pour vous replacer à la tête de ses vrais amis… Au lieu d’une vie d’enfer que nous lui faisons mener, joignons-nous tous pour lui procurer une société douce et une vie agréable. Rappelez-vous tout ce que j’ai eu l’honneur de vous dire à ce sujet, et rendez en sa faveur votre amitié à celui à qui vous n’avez pu ôter votre estime. Si cette lettre ne vous ouvre pas les yeux, je croirai avoir rempli tous mes devoirs envers mon ami que je n’ai pas offensé, dont j’ai oublié les injures, et au-devant duquel je vais pour la dernière fois, lui protestant qu’après cette démarche infructueuse, je m’en tiendrai au respect froid, sec et ferme, qu’on a pour un grand seigneur sur le caractère duquel on s’est lourdement trompé. »


Le duc de Chaulnes ne répondit pas à cette lettre ; quelques mois se passèrent, pendant lesquels apparemment Beaumarchais, quoique le duc n’autorisât point ses visites, profita de la permission que Mlle Ménard lui avait donnée de revenir la voir ; enfin un beau matin, le 11 février 1773, le duc de Chaulnes se mit en tête de tuer son rival. La scène qui suit ayant duré toute une journée, et chacun des personnages qui y ont concouru ayant fait sa déposition écrite au lieutenant de police ou au tribunal des maréchaux de France pour la partie qui le concerne, je vais ajuster ces différentes dépositions, en commençant par celle de Gudin, qui a vu se former l’orage. Dans le récit inédit qu’il a rédigé de toute l’affaire trente-cinq ans après l’événement, Gudin se farde un peu. Je préfère sa déposition du moment ; il y est plus naturel : on l’y voit jeune, bon garçon, dévoué à Beaumarchais, avec lequel il était lié depuis quelque temps, et qui l’avait sans doute introduit chez Mlle Ménard, mais enclin à s’effrayer facilement, assez peu belliqueux et craignant beaucoup de se compromettre.


Compte rendu à M. le lieutenant de police de ce qui m’est arrivé jeudi 11 février.

« Jeudi dernier, sur les onze heures du matin, je me rendis chez Mlle Ménard, après avoir été dans plusieurs endroits. — Il y a bien long-temps que je ne vous ai vu, me dit-elle. J’ai cru que vous n’aviez plus d’amitié pour moi. — Je la rassurai et je m’assis dans un fauteuil au bord de son lit. Elle fondit en pleurs, et son cœur ne pouvant contenir sa peine, elle me conta combien elle avait à souffrir des violences de M. le duc de Chaulnes. Elle me parla ensuite d’un propos tenu contre M. de Beaumarchais. Le duc entre ; je me lève, je le salue, je lui cède la place que j’occupais au bord du lit. — Je pleure, lui dit Mlle Ménard, je pleure, et je prie M. Gudin d’engager M. de