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trances que le trouble où j’étais et le peu de temps que j’avais me permirent. Bien sûr qu’il ne trouverait pas M. de Beaumarchais chez lui, et non moins sûr que, si on me voyait paraître, ses gens ne manqueraient pas de me dire où était leur maître, j’espérai que, s’ils ne voyaient que le duc seul, son trouble les empêcherait de le lui apprendre. Ainsi, dans le moment où le duc sauta du carrosse pour frapper à la porte de M. de Beaumarchais, j’en sautai aussi et je revins chez moi, mais par des chemins détournés, de peur que le duc ne recourût après moi… »


Je supprime ici la partie de la déposition de Gudin qui ferait double emploi avec ce qui va suivre, et j’en reproduis seulement la fin à cause du ton.


« Voilà, monsieur, dit-il, dans la plus exacte vérité, ce que j’ai vu et ce qui m’est arrivé ; j’en suis d’autant plus fâché que cette affaire me fera vraisemblablement un ennemi irréconciliable de M. le duc de Chaulnes, quoique je n’aie rien fait que pour lui rendre service à lui-même en empêchant le combat, qui, de quelque manière qu’il se fût terminé, n’aurait pu manquer de lui être funeste, surtout dans les malheureuses circonstances où il se trouve. C’est ce que je lui ai dit à lui-même dans ce fiacre où il me retenait. Je suis avec le plus profond respect, monsieur, etc.

« Gudin de la Brenellerie. »


Voilà donc Gudin en fuite et le duc de Chaulnes qui frappe à la porte de Beaumarchais. On lui dit imprudemment qu’il est au Louvre, au tribunal de la capitainerie, et il y court, toujours très pressé de le tuer. Beaumarchais, déjà prévenu par Gudin, était en train de juger majestueusement des délits de chasse, lorsqu’il voit entrer son furieux ennemi. C’est lui maintenant qui va prendre la parole ; ce qui suit est extrait d’un mémoire inédit qu’il adressa au lieutenant de police et au tribunal des maréchaux de France.


Récit exact de ce qui s’est passé jeudi 11 février 1773 entre M. le duc de Chaulnes et moi, Beaumarchais[1].

« J’avais ouvert l’audience de la capitainerie, lorsque j’ai vu arriver M. le duc de Chaulnes avec l’air le plus effaré qu’on puisse peindre, et qui m’est venu dire tout haut qu’il avait quelque chose de pressé à me communiquer et qu’il fallait que je sortisse à l’instant. — Je ne le puis, monsieur le duc, le service du public me force à terminer décemment la besogne commencée. — Je veux lui faire donner un siège ; il insiste ; on s’étonne de son air et de son ton. Je commence à craindre qu’on ne le devine, et je suspends un moment l’audience pour passer avec lui dans un cabinet. Là il me dit, avec toute l’énergie du langage des halles, qu’il veut sur-le-champ me tuer, me déchirer le cœur et boire mon sang, dont il a soif. — Ah ! ce n’est que cela, monsieur le duc, permettez que les affaires aillent avant les plaisirs. — Je veux rentrer ;

  1. Je prends le récit de Beaumarchais au moment précis où lui-même entre en scène.