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Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/701

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solide, et d’une époque où l’on se battait plus souvent qu’aujourd’hui ; prends-la, et si ce maraud de duc t’approche, tue-le comme un chien enragé. » Cependant le duel n’était plus possible : le duc de Chaulnes vient de nous apprendre lui-même que le surlendemain il avait cru devoir aller au foyer de tous les théâtres déclarer officiellement que, Beaumarchais n’étant pas gentilhomme, il le corrigerait comme un roturier. L’altercation étant ainsi devenue publique, le tribunal des maréchaux de France, juge de ces sortes de cas entre gentilshommes (et, n’en déplaise au duc de Chaulnes, Beaumarchais l’était, on s’en souvient, en vertu de sa quittance), le tribunal des maréchaux de France s’était saisi de l’affaire, et avait envoyé un garde à chacun des deux adversaires.

Dans l’intervalle, le duc de La Vrillière, ministre de la maison du roi, avait mandé Beaumarchais pour lui ordonner d’aller à la campagne pendant quelques jours, et comme celui-ci protestait énergiquement contre un tel ordre, dont l’exécution, sous le coup des menaces du duc de Chaulnes, aurait compromis son honneur, le ministre lui avait ordonné de garder les arrêts chez lui jusqu’à ce qu’il eût rendu compte de l’affaire au roi. C’est dans cet état de choses que le tribunal des maréchaux de France avait successivement appelé devant lui les deux contendans. Beaumarchais n’avait pas eu de peine à prouver que tous ses torts consistaient à être préféré à un duc et pair par une jolie femme jouissant de sa liberté, ce qui n’était pas un crime capital, et, le résultat de l’instruction ayant été défavorable au duc de Chaulnes, ce dernier fut envoyé le 19 février, par lettre de cachet, au château de Vincennes. Le tribunal des maréchaux de France, ayant mandé une seconde fois Beaumarchais, lui déclara qu’il était libre et que ses arrêts étaient levés.

Tout cela était assez juste ; mais Beaumarchais, qui se défiait un peu de la justice humaine, passe chez le duc de La Vrillière pour lui demander si en effet il est libre. Ne le trouvant pas, il lui laisse un mot et va droit chez M. de Sartines pour lui adresser la même question. Le lieutenant de police lui répond qu’il est parfaitement libre ; alors seulement il se considère comme garanti de tout accident et s’aventure sur le pavé de Paris : il avait compté sans son hôte. Le très petit esprit du duc de La Vrillière s’offense de voir le tribunal des maréchaux de France lever au nom du roi des arrêts donnés par lui au nom du roi, et pour apprendre à ce tribunal à faire plus de cas de son autorité, le 24 février, toujours au nom du roi, il expédie Beaumarchais au For-l’Évêque. Peut-être aussi lui fit-on sentir qu’il était indécent qu’un duc et pair fût envoyé à Vincennes, et que le fils d’un horloger en fût quitte pour réparer de son mieux les avaries faites à son visage par le duc et pair.