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contemporains : il n’eût pas voulu dérober une heure à son travail pour justifier ses fautes ou détruire les calomnies. Une seule fois il se crut obligé d’opposer une dénégation très vive à un passage des Mémoires de Bourienne. Les instances de M. Pertz furent inutiles ; le baron de Stein mourut au mois de juillet 1831, sans avoir laissé son testament politique et l’histoire de sa pensée.

Ce que M. Pertz n’avait pu obtenir de son glorieux ami, il crut que son devoir était de le faire. Il avait eu plus que personne les confidences de M. de Stein. D’ailleurs, les deux filles du grand ministre, Mme la comtesse de Giech et Mme la comtesse de Kielmanns-Egge, l’avaient prié expressément de rendre cet hommage à la mémoire de leur père ; elles lui avaient remis ses papiers et ses lettres, et avaient eu soin de recueillir de tous côtés les documens épars que conservaient encore des mains amies. M. Pertz se mit à l’œuvre, et, après plus de quinze années de travail, de recherches, d’informations de toute sorte, il a pu réunir sur le baron de Stein les documens les plus rares. Le point de vue où s’est placé M. Pertz ne saurait être le nôtre : en écrivant cette belle biographie, comme Tacite écrivait celle d’Agricola, professione pietatis, l’auteur a plutôt cherché le panégyrique du grand caractère que l’étude sévère de la réalité et l’appréciation impartiale d’un génie aventureux. L’histoire y est souvent défigurée, le patriotisme y a recours à des procédés un peu puérils. L’auteur, par exemple, écrira sérieusement cette phrase : « La lutte de l’Allemagne contre la France, commencée en 1792 par l’entrée de nos troupes en Champagne, s’est terminée en 1814 par la prise de Paris. » D’après cet étrange résumé d’une si merveilleuse époque, d’après cette façon cavalière de supprimer les plus grandes victoires qui aient jamais ébloui le monde, on peut deviner aisément ce que deviendra le récit de M. Pertz chaque fois que la France et l’Allemagne seront en présence. Qu’importe ? les renseignemens dont son ouvrage est plein nous fournissent les moyens de rectifier ses vues et de chercher nous-même la vérité. Le baron de Stein a été l’un des plus violens ennemis de la France ; il l’a été aveuglément d’abord, il l’a été ensuite dans des circonstances exceptionnelles et à une époque où les fureurs du patriotisme germanique n’étaient que trop justifiées : tout cela est bien loin aujourd’hui ; l’histoire seule doit nous préoccuper, et lorsque, mettant à profit tant de documens précieux, nous essaierons de retracer l’originale figure du ministre prussien, nous sommes bien assuré d’avance de la liberté de notre jugement. Le siècle a grandi ; il n’y a place, en de telles matières, ni pour un enthousiasme factice, ni pour un dénigrement passionné.