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s’est donné à aucun; il a pu être un initié dans quelques-unes de ces associations philosophiques, jamais il n’a été un disciple. Il y a un passage très curieux dans la préface de la Lettre rouge; l’auteur raconte que, lorsqu’il fut nommé aux modestes fonctions d’employé aux douanes, il n’éprouva aucun dégoût pour la besogne toute pratique qu’il avait à faire, et qu’il y trouva même grand charme. Fatigué qu’il était de philosophie et d’abstractions, il échappait au joug des idées et aux influences de ses amis. « Après ma participation aux travaux et aux projets impraticables de mes compagnons, les rêveurs de Brook-Farm; après avoir vécu trois ans sous l’influence d’une intelligence aussi subtile que celle d’Emerson; après ces jours de liberté et d’indépendance complète, sur les bords de l’Assabeth, passés dans la compagnie d’Ellery Channing et employés en spéculations fantastiques en face de notre feu de bois mort; après avoir causé avec Thoreau sur les antiquités indiennes dans son ermitage de Walden; après avoir fini par rendre mon goût littéraire extrêmement difficile et dédaigneux à force de sympathie pour la culture classique et raffinée d’Hillard; après avoir été pénétré et trempé de sentiment poétique auprès du foyer de Longfellow, il était temps que d’autres facultés de ma nature fussent exercées; il était nécessaire de changer d’alimens et de goûter à une nourriture qui jusqu’alors avait peu éveillé mon appétit. La compagnie du vieil inspecteur du custom-house (un vieillard égoïste et vulgaire) était elle-même une chose excellente, comme changement d’hygiène intellectuelle, pour quelqu’un qui avait connu Alcott. »

Ce passage est significatif, et le sentiment qui a dicté ces lignes circule dans tous les écrits de M. Hawthorne. Il est défiant, il a peur d’être dupe; il ruse pour échapper aux influences intellectuelles; il refuse d’accepter la domination des idées; il craint que cela ne compromette son originalité; il voudrait mettre son talent au-dessus des idées morales : vaine tentative, et qui peut-être a été punie! A la fin du Roman de Blithedale, M. Hawthorne met dans la bouche de Miles Coverdale (pseudonyme qui cache le romancier lui-même) ces remarquables parôles : « Je manque d’un but... Je suis désorienté; ma vie est devenue complètement stérile, et je suis arrivé à une impasse. » Les écrits de M. Hawthorne font, en effet, soupçonner quelque chose d’analogue; ils ont, dans leur perfection, quelque chose d’incomplet; ils manquent d’un but général, et ne sont pas reliés par une pensée principale et une. Ce sont des fantaisies d’artiste et des observations de détail qui manquent de lien. Un certain scepticisme les domine tous : il est évident que l’auteur est désabusé de bien des choses, et qu’il n’est assuré de rien. Cette défiance, cette crainte de la domination des idées, qui est très commune parmi les artistes et les écrivains, produit toujours les mêmes résultats déplorables. L’écrivain doit avoir un but, absolument