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comme le politique et le conquérant; il doit être le serviteur d’une idée, et non pas vouloir réduire cette idée au rôle d’auxiliaire pour son talent. S’il tombe dans ce péché d’orgueil et de révolte contre les lois morales, il en sera puni. Sa méfiance ne l’empêchera pas d’être dupe; il se jettera dans tous les excès des systèmes qu’il viendra visiter par curiosité et pour chercher des sujets; il en aura successivement tous les ridicules sans en avoir les qualités réelles, et, au bout de trente ans de vie littéraire, il se trouvera un grand dilettante, auteur d’admirables fragmens dont on ne voit pas le but, d’admirables essais dont on ne sent pas le besoin. Cette observation ne s’applique pas spécialement à M. Hawthorne, et il y a plus d’un exemple de ce fait ailleurs qu’en Amérique.

Nathaniel Hawthorne est foncièrement un Américain, avons-nous dit; à ce propos, nous observerons qu’on abuse peut-être des ressemblances que la littérature américaine a eues jusqu’à présent avec les littératures européennes pour déclarer, dès qu’un écrivain nouveau se présente : Ce n’est pas un Américain, c’est un Anglais, c’est un Allemand. J’entends dire fréquemment qu’Emerson est un Allemand; quelques personnes ont prononcé le nom de Lamb à propos d’Hawthorne, j’ai même entendu prononcer le nom de Godwin. Qu’Emerson ait étudié la littérature allemande, rien n’est plus certain; mais les applications qu’il fait de cette littérature sont essentiellement américaines : morale, style, éloquence, tout est entièrement original et américain. Personne ne s’est jamais formé tout seul : tout écrivain fait son éducation dans une littérature particulière, ce qui ne veut point dire que, pour cela, il ne puisse être original. Nos écrivains français ont tous fait leur éducation au moyen de la littérature latine: en sont-ils moins Français? Dire qu’Emerson est un Allemand n’est pas plus juste que de dire, par exemple, que Montaigne est un Latin. La ressemblance qu’on a cru saisir entre Hawthorne et Lamb n’est pas mieux fondée. Il y a çà et là dans ses écrits quelques petits essais dans le genre de Lamb; mais en général rien ne ressemble moins aux pages délicates de Lamb, à la quaintness du délicieux écrivain, à ses petites passions et à ses petites mélancolies de célibataire, aux petits égoïsmes de son excellent cœur et aux petites sensualités de son ame exquise, que les récits funèbres, l’analyse impitoyable et presque perverse quelquefois à force de subtilité du conteur américain. M. Hawthorne ne ressemble pas non plus à Godwin, car il ne joue pas sur la même corde que lui. Godwin n’a qu’un sentiment profond et unique : c’est le sentiment de la justice. Il est violent, passionné, comme un homme qui n’a qu’un seul amour et une seule haine; ce n’est point par plaisir qu’il nous entretient de choses terribles et fait passer sous nos yeux des scènes effrayantes. M. Hawthorne au contraire a l’amour du funèbre et du terrible; il le