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institution consacrée par les respects de tous : ils aspiraient à trouver pour elle, dans le consentement national, des racines qu’ils ne voulaient plus chercher dans l’antique hiérarchie seigneuriale, dont la royauté était le faîte. La lutte contre l’ordre social constitué par l’histoire fut la préoccupation constante et comme la fatalité de cette grande assemblée. Cette lutte contre les souvenirs fut poursuivie avec un tel acharnement et une passion si exclusive, qu’on prit malheureusement le change sur les périls les plus prochains, et qu’on épuisa contre le passé une énergie qu’il aurait fallu employer à sauvegarder l’avenir. De là toutes les fautes de l’assemblée et tous les malheurs de la France. Pour avoir le sens véritable des actes et des paroles de ce temps, il faut donc se reporter à cette constante obsession de la pensée publique, qui fut pour la constituante l’occasion d’assez d’erreurs pour qu’on ne lui prête pas par surérogation des absurdités.

Lorsqu’on prétend juger une assemblée qui tient une si grande place dans l’histoire par les créations qui lui survivent non moins que par les ruines qu’elle a faites, il faut embrasser ses actes dans leur ensemble. C’est par les œuvres de la constituante que la France respire et qu’elle se meut depuis soixante années ; celles-ci sont encore la base de tout notre système administratif et financier ; c’est sur elles qu’ont été élevés nos codes imités ou enviés par l’Europe. La nation a passé tour à tour des gouvernemens révolutionnaires aux gouvernemens de réaction, ballottée des uns aux autres comme par une série d’ondulations régulières ; mais, durant les agitations qui ont si souvent changé la forme extérieure du pouvoir, 89 est resté pour elle comme le centre de gravité où elle aspire, et sur lequel les gouvernemens les plus contraires s’efforcent tour à tour de s’asseoir, pour trouver un point d’appui dans la conscience publique. Il y a dans cet éclatant accord de tous les pouvoirs que la France s’est donnés, si divers qu’ils soient par leurs actes, quelque chose qui révèle l’ame même de la nation. Le pays ne saurait abdiquer 89 sans s’abdiquer lui-même, car la pensée publique y remonte à grand’peine au-delà de cette date, et c’est à celle-ci que se reportent toutes les institutions administratives et judiciaires qui ont marqué pour jamais la France à leur empreinte.

Cependant, si nous ne pouvons avec M. Du Boys condamner l’assemblée constituante pour crime de socialisme, il ne nous est pas moins impossible de nous associer à l’apologie ardente et presque sans réserve entreprise par M. Laferrière. Nous avons établi dans ce recueil même[1] quel compte terrible cette assemblée doit à l’histoire pour les catastrophes préparées par son imprévoyance et pour ses attentats systématiques contre ce qu’il y a de plus sacré parmi les hommes : la foi et la conscience. En vain voudrait-on contraindre la postérité à s’incliner

  1. La Bourgeoisie et la Révolution française, deuxième partie, ne du 15 mai 1850.