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Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/83

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LE PROBLÈME DE 89.

devant une sagesse qui n’a pas su ménager à son œuvre quelques mois de durée et qui a creusé avec une aveugle obstination l’abîme dans lequel cette œuvre devait nécessairement s’engloutir ; plus vainement encore voudrait-on faire envisager l’assemblée qui suscita gratuitement le schisme pour en faire sortir la persécution comme la plus haute expression de la pensée chrétienne dans le monde moderne.

Suivant l’auteur de l’Histoire des Institutions et des Lois pendant la Révolution française, deux grandes écoles philosophiques, qui portent dans leur sein à travers le cours des siècles les deux doctrines opposées du spiritualisme chrétien et du matérialisme païen, avaient concouru à former, par une expansion puissante, l’opinion du XVIIIe siècle, et l’histoire de ce siècle, résumée dans la révolution française, ne serait que celle de la lutte entre ces deux doctrines. Les deux écoles auraient, d’après M. Laferrière, successivement triomphé au milieu des déchiremens de l’époque révolutionnaire, et une idée philosophique domine chaque période de la révolution. En 1789, l’idée spiritualiste issue de la civilisation chrétienne, et dont Montesquieu lui semble l’interprète le plus éclatant, règne sans conteste, et, pendant deux années, elle se reproduit dans les doctrines et dans les faits ; en 1793, le matérialisme l’emporte et s’efforce de ressusciter toutes les créations du vieux monde. Enfin en 1802 la régénération de la France s’opère par l’union de l’esprit catholique avec l’esprit philosophique, et le consulat réalise l’œuvre de la constituante. L’histoire législative de la révolution se diviserait donc en trois périodes : l’une éminemment spiritualiste et chrétienne dans son principe, l’autre matérialiste et païenne dans ses sources, la troisième toute d’application et profondément catholique dans son esprit.

Cette distinction a sans doute l’avantage de diviser d’une manière tranchée l’ère révolutionnaire et de concentrer avec plus de netteté et de précision, ici les éloges, là les malédictions de la postérité ; mais, comme toutes les divisions générales, elle est moins vraie qu’elle ne semble l’être. Si l’assemblée nationale a subi le plus souvent, même sans le soupçonner, l’inspiration du génie chrétien, combien de fois n’a-t-elle pas agi sous une inspiration directement contraire ! Lorsque la constituante donnait pour corollaire à l’égalité naturelle des êtres l’égalité devant la loi, quand elle travaillait à substituer à une aristocratie fondée sur des souvenirs de conquête et des antipathies de castes une hiérarchie accessible et mobile, dont la valeur personnelle serait la base, elle accomplissait en effet une œuvre dont l’heure était marquée du doigt divin sur le cadran des âges. L’église l’avait secondée par sa lutte contre l’empire, la royauté française par son duel de huit siècles avec la féodalité. Saint Ambroise opposant à l’enivrement de la suprême puissance le cri des faibles et des petits, Grégoire VII faisant