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magiciens, en alchimistes. On ne saurait donc s’étonner si les doctrines socialistes se sont emparées de l’esprit des romanciers; elles leur ont servi de merveilleux; toutes ces superstitions, toutes ces croyances bizarres des lettrés et du peuple aux choses les plus artificielles, les plus charlatanesques, cette rage du magnétisme animal qui a long-temps régné aux États-Unis et qui n’a pas encore complètement disparu, tout cela se reflète dans le roman de M. Hawthorne et en compose le fantastique.

Ce sont donc les singularités merveilleuses du socialisme qui ont surtout attiré vers lui certains écrivains : quant à la morale de cette doctrine, les adeptes lettrés qu’elle compte en Amérique n’en parlent jamais sans une certaine répugnance; on ne descend pas des puritains, on n’a pas été formé par leur rude discipline et par deux siècles d’énergie positive pour se laisser corrompre par la première rêverie dépravée. Aussi faut-il voir dans le roman de M. Hawthorne les efforts que font souvent ces honnêtes gens crédules pour repousser la morale des réformateurs contemporains. Ils ont beau être socialistes, ils ne peuvent consentir à être des hommes sans principes, unprincipled men. car ce mot unprincipled est dans la langue anglaise la plus grande injure qu’on puisse adresser à un homme. Voici la conversation de deux personnages du roman de M. Hawthorne sur la doctrine de Fourier :


« Ne me parlez pas de cela! s’écria Hollingsworth avec un extrême dégoût. Je ne pardonnerai jamais à ce drôle! Il a commis le péché impardonnable, car le diable lui-même pourrait-il jamais imaginer une plus monstrueuse iniquité que d’aller choisir le principe de l’égoïsme, — ce principe de tout le mal humain, cette noirceur du cœur de l’homme, cette portion de nous-mêmes qui nous donne le frisson et que notre discipline spirituelle tout entière s’efforce de déraciner, — que d’aller choisir l’égoïsme pour cheville ouvrière de son système? S’emparer de toutes les corruptions viles, mesquines, sordides, bestiales, impures, abominables, qui se sont introduites dans notre nature comme des chancres rongeurs, les dresser, faire leur éducation pour les rendre capables d’être les instrumens efficaces de son infernale régénération, fi donc! Et son parfait paradis, tel qu’il le dépeint, serait véritablement la digne œuvre des instrumens au moyen desquels il compte l’établir. Fi le vilain ! il donne la nausée.

« — Néanmoins, répliquai-je, en considérant les délices que promet son système, délices que les compatriotes de Fourier sont très propres à apprécier, je m’étonne que la France tout entière n’ait pas adopté sa théorie en un instant et sur un signal donné. Mais n’y a-t-il pas quelque chose qui est tout-à-fait caractéristique de sa nation dans la manière dont Fourier expose ses vues? Il ne fait pas appel à l’inspiration. Il ne s’est pas persuadé à lui-même, — comme Swedenborg et tout homme d’une autre nation que la France l’auraient fait, ayant à communiquer une mission d’une telle importance, — il ne s’est pas persuadé qu’il a reçu un ordre d’en haut pour parler. Il