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protection, et lui suffirait-il par hasard de dissoudre des sociétés industrielles pour en hériter ? D’ailleurs, les propriétés ecclésiastiques n’avaient aucun caractère collectif ; tous ces biens avaient eu, au moment même où leurs propriétaires primitifs s’en étaient spontanément dessaisis, une destination spéciale et déterminée, fort indépendante de la position du clergé dans la constitution de l’état. Les donateurs n’avaient point donné à l’église catholique en général, mais à telle église, à tel chapitre, à tel monastère, et toujours dans la double intention, exprimée ou sous-entendue, d’aider à la célébration du culte et d’assister les pauvres du surplus. « On nous a donné nos biens, disait l’abbé Maury dans la grande discussion du mois de décembre 1789 ; les actes de donation existent ; ce n’est point à la nation qui n’est, comme le clergé lui-même, comme les hôpitaux, comme les communes, qu’un corps moral, ce n’est pas même au culte public, que ces dons ont été faits : tout a été individuel entre le donateur qui a légué et l’église locale qui a reçu ; on ne connaît aucun don générique fait à l’église. »

Le clergé français possédait donc, appuyé sur tous les titres qui rendent la propriété incontestable et sacrée. Sur ce terrain-là, M. Du Boys est inexpugnable, et M. Laferrière au contraire donne prise à des attaques auxquelles il s’est manifestement exposé, beaucoup moins pour défendre les actes de 1790 en eux-mêmes que pour protéger l’assemblée dont ils émanent contre les trop justes reproches de la postérité. Non, la période révolutionnaire de 89 à 91 ne fut point dominée par une inspiration religieuse, quoique le sens primitif de ce grand mouvement d’émancipation et d’égalité ait été essentiellement chrétien ; une œuvre chrétienne en elle-même a été accomplie par des hommes sans croyances, et cette grande contradiction qui a été l’écueil du passé continue à demeurer celui de l’avenir.

Cette réserve faite vis-à-vis de l’auteur de l’Histoire des Institutions et des Lois, on ne saurait trop louer l’habileté d’analyse et la rectitude d’esprit qui ont présidé à la composition de ce livre, manuel substantiel de notre plus grande période législative. Des deux termes proclamés par la révolution comme son programme et sa devise, M. Laferrière établit que l’égalité seule a été sérieusement fondée parmi nous, et que la liberté cherche et cherchera probablement long-temps encore ses garanties et ses formes définitives. Il attribue judicieusement cette différence à ce que la révolution, dans l’ordre politique, a procédé par des théories absolues et en rompant complètement avec tout le passée tandis que, dans l’ordre civil, elle a constamment procédé par transaction. Il faut remarquer en effet que l’assemblée constituante, malgré l’entraînement alors général vers la théorie, ne s’est jamais départie, en matière civile, d’un respect profond pour la tradition et pour les droits antérieurs, et que son plus grand titre aux yeux de la postérité sera