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LE PROBLÈME DE 89.

d’avoir admirablement combiné dans les questions non politiques l’originalité née du principe de la révolution avec la tradition coutumière tempérée par l’esprit du droit romain. C’est par là que son œuvre a poussé de si profondes racines et qu’elle défie des anathèmes impuissans contre un principe d’indestructible vitalité. Le côté pratique et permanent des travaux de cette période n’a jamais été mis dans un jour plus éclatant que par le livre de M. Laferrière. Je voudrais esquisser ce tableau dans ses traits principaux pour montrer tout ce qu’il y avait de puissance dans la révolution française et de durée dans ses œuvres lorsqu’elle restait une pensée nationale, au lieu de se faire la servile copiste du Contrat social : ce sera la plus éclatante réponse à ceux qui prétendent établir que dans sa législation civile l’assemblée constituante fut inspirée par un principe hostile au droit de propriété.

L’action de la révolution dans l’ordre civil peut être envisagée sous trois rapports principaux : 1° avec les personnes, 2° avec les propriétés, 3° avec la famille.

Le but de l’assemblée constituante, dans ses décrets sur la condition des personnes, fut d’établir entre elles la plus parfaite égalité, non point en attribuant à tous les mêmes avantages, mais en leur assurant les mêmes moyens pour défendre ceux que la nature leur avait procurés. La première application de cette pensée fut de fonder l’unité des juridictions et de supprimer du même coup et les servitudes et les privilèges personnels. Personne ne put dorénavant se prévaloir de droits particuliers pour se soustraire à l’action des pouvoirs publics, et l’on ne put non plus se prévaloir contre personne des droits féodaux ou régaliens qui, en 1789, limitaient encore en plusieurs points la liberté naturelle.

On fit une distinction fondamentale entre les droits dérivés de la féodalité. Celle-ci fut divisée en deux époques historiques : l’époque où le servage formait l’état général de quiconque n’était ni noble ni clerc, et celle qui succéda à l’émancipation des serfs et à l’affranchissement des communes. On considéra les droits issus de la première période comme constituant ou représentant la servitude personnelle, et on les abolit sans indemnité ; mais dans la seconde période, durant laquelle la féodalité avait contracté avec des hommes libres ou affranchis, elle avait fait des concessions de fonds à titre de fiefs ou de censives pour se créer des vassaux et des censitaires. Le législateur distingua judicieusement dans ces nombreux contrats les devoirs personnels des devoirs réels : il abolit les premiers, parce qu’ils touchaient à la liberté de la personne ; il conserva les seconds en les envisageant comme des droits fonciers formant le prix de la propriété concédée.

« Les législateurs de 89, dit M. Laferrière, ont reconnu dans la féodalité deux caractères distincts : la féodalité dominante et la féodalité