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Hagen sont enchaînés dans deux cachots différens, et Crimhilde fait ici ce que fait Attila dans l’Edda : elle va de l’un à l’autre, demandant où est caché le trésor de Siegfried. « Reine, lui dit Hagen, vous perdez vos discours ; j’ai juré de ne jamais révéler ce secret tant que la vie restera à l’un de mes nobles chefs. — Eh bien ! voici venir les dernières vengeances, » s’écrie la reine hors d’elle-même, et elle ordonne qu’on lui apporte la tête de Gunther. Prenant par les cheveux cette tête dégoûtante de sang, elle la montre à Hagen ; mais le farouche Burgonde continue à la braver. « Maintenant le trésor n’est plus connu que de Dieu et de moi, lui dit-il, et toi, tu ne le posséderas jamais, furie de l’enfer ! — pourtant, reprend-elle, il en reste quelque chose que je prétends bien conserver, c’est l’épée de Siegfried : il la portait, mon gracieux bien-aimé, lorsque vous l’avez lâchement assassiné et que je l’ai vu pour la dernière fois ! » Elle saisit alors le pommeau de Balmung, qu’elle arrache du fourreau sans que Hagen puisse la retenir ; puis, levant à deux mains la terrible épée, elle tranche la tête de son ennemi. Attila et Théodoric, présens à ce spectacle, restaient immobiles de stupeur ; Hildebrand, indigné, s’élance sur la reine, la frappe de son épée et la tue. Le poème finit là.

Dans cette courte analyse, je me suis attaché à mettre en saillie la différence matérielle des faits et des caractères entre les deux traditions ; j’y ajouterai quelques développemens sur les différences morales. Non-seulement l’Attila du poème allemand est innocent de tous les crimes qui forment les péripéties du drame et que la famille des Niebelungs se partage fraternellement, non-seulement il se montre comme un modèle de désintéressement et de loyauté, comme un hôte si strict observateur des devoirs de l’hospitalité, qu’il faut qu’on lui tue son fils pour qu’il lève l’épée sur ses hôtes ; mais encore il est l’exemple des maris : il ne songe à convoler en secondes noces qu’après avoir enterré et dûment pleuré sa première femme. « C’est avec respect et loyauté, dit Rudiger à Crimhilde, que le plus grand roi du monde m’envoie vers vous, à cette fin de vous rechercher en mariage. Il vous offre amour infini : aucuns chagrins ne vous atteindront, et il est disposé à ressentir pour vous la même tendresse qu’il eut jadis pour dame Helkhé, cette femme qu’il portait dans son cœur. Certes, il a passé des jours amers à regretter ses vertus. » Cet Attila ressemble fort peu, on l’avouera, au furieux polygame dont nous parle l’histoire, et qui avait une légion de femmes et un peuple d’enfans ; il ne ressemble pas davantage à l’Atli des chants scandinaves, qui n’est guère plus réservé, et dont l’amour est toujours entaché de violence. Sans être chrétien, Attila a des vertus chrétiennes, et il montre même un grand penchant pour la vraie religion, il a fait construire une église à Etzelburg ; sa femme Helkhé était chrétienne, ses plus chers amis sont chrétiens, et il permet que son fils Ortlieb reçoive le