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Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/885

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baptême; on espère qu’il consentira un jour à en faire autant pour son compte. C’est une perspective que Rudiger fait entrevoir à Crimhilde pour la décider : « Peut-être, lui dit-il, aurez-vous le glorieux bonheur de faire baptiser Attila : que ce soit pour vous un nouveau motif d’accepter le titre de reine des Huns! » Il y a mieux que cela encore dans le poème de la Lamentation ou Complainte des Niebelungs, qui fait une suite naturelle au grand poème, mais qui contient des détails empruntés aux documens originaux : Attila y raconte qu’il a été chrétien cinq ans, après quoi il serait retourné au paganisme sans que nous en sachions la raison. Enfin le roi des Huns recherche tout ce qui adoucit les mœurs et rehausse l’éclat de la paix; il se construit un palais magnifique dont la grande salle est longue, large, haute, afin que la fleur des guerriers de l’univers entier puisse s’y réunir et y tenir à l’aise. Pour être un chevalier parfait, il ne lui manque que d’être chrétien; mais il a près de lui deux amis chrétiens, Théodoric et Rudiger, qui n’ont point leurs égaux au monde, et qui font pour lui contre ses ennemis ce qu’un païen ne pourrait pas faire.

La mort de Crimhilde formant désormais le dénoûment de la tradition, que devient Attila? Voilà ce qu’il est permis de demander aux poèmes germaniques, mais aucun d’eux ne contient la réponse. Le Niebelungenlied se tait prudemment, sans avouer qu’il ne veut pas le dire ou qu’il l’ignore; le poème de la Complainte est plus franc. « Je ne puis affirmer avec certitude, dit-il, ce qu’Attila devint par la suite; on ne le sait pas, ni moi ni personne. Les uns disent : Il fut tué; les autres disent non. Entre ces deux affirmations, mensonge ou vérité me sont également difficiles à saisir, et, pour cette raison, je reste dans le doute. Je ne m’étonnerais donc pas si Attila s’était perdu, si le vent l’avait enlevé, si on l’avait enterré vivant, s’il était monté au ciel ou tombé dans quelque abîme, ou s’il s’était évanoui comme une vapeur, ou enfin si le diable l’avait emporté; ces importantes questions, personne encore n’a su les décider. » Ainsi les poèmes allemands du cycle des Niebelungs semblent repousser de la personne d’Attila cette tradition d’une fin tragique que les chants de l’Edda avaient adoptée avec tant d’enthousiasme, et qui a son point d’appui dans l’histoire. C’est encore une énigme à ajouter à toutes celles que renferment les poèmes dont je parle, énigmes qui ne sont peut-être pas insolubles. Peut-être qu’en cherchant quel fut l’inventeur de la fable germanique, le constructeur de l’épopée des Niebelungs, ce qui nous semble obscur s’éclaircirait; peut-être comprendrions-nous mieux la révolution qui a bouleversé tout à coup la tradition d’Attila, en connaissant les circonstances au milieu desquelles elle s’est opérée.

C’est encore au poème de la Complainte ou de la Lamentation des Niebelungs que je demanderai les explications dont j’ai besoin. Je l’ai déjà dit, ce poème est très curieux, et, quoique rédigé au XIVe siècle