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en vers fort médiocres, il s’appuie sur des rédactions plus anciennes, lesquelles se fondaient elles-mêmes sur les documens originaux. Or voici ce qu’il nous dit dans une espèce d’épilogue : « Ces récits, dont on ne doit point suspecter la vérité, car l’auteur en avait su toutes les circonstances, l’évêque de Passau Pilegrin les fit écrire en latin pour l’amour d’un sien parent. Il fit écrire, sans rien omettre, tout ce qui s’était passé, comment la chose avait commencé et fini, comment les braves, après avoir dignement combattu, étaient restés morts sur la place. » Le poème ajoute que Pilegrin fut aidé dans son travail par son secrétaire, maître Conrad, et que depuis lors ces aventures, traduites en langue allemande, ont été chantées par tant de poètes, que tous, jeunes et vieux, les connaissent par cœur. Ainsi donc voilà un premier point éclairci. Pilegrin, évêque de Passau, en Autriche, personnage bien réel, qui vivait dans la seconde moitié du Xe siècle, recueillit les chants populaires qui couraient l’Allemagne sur Attila et les Niebelungs, les refondit ensemble, et leur appliqua une forme épique dans un livre écrit en latin. C’était la mode, à cette époque, que des clercs, dans le silence du cabinet ou dans celui du cloître, s’amusassent à donner aux sujets traditionnels qui intéressaient le public une unité et une composition littéraire qui manquaient aux chants des ménestrels, dont la nature était de rester épisodiques. C’est ainsi que nous voyons au XIe siècle le moine auteur de la chronique de Turpin esquisser le plan des romans populaires sur Roland et Charlemagne. C’est ainsi encore qu’un roman latin sur Lancelot du Lac servit de guide aux romanciers français, et qu’enfin, au XIIe siècle, les compositions fameuses de Geoffroy de Monmouth fournirent un cadre aux romans poétiques sur l’histoire de la Bretagne. Ce parent de Pilegrin, pour l’amour duquel l’évêque de Passau composa son ouvrage, n’était autre que ce margrave Rudiger de Pechlarn, qui y figure si magnifiquement près d’Attila, mais qui, en réalité, mourut vers 916 gouverneur du duché d’Autriche. Il paraît que ce margrave présentait un des plus beaux caractères de cette époque, où l’esprit chevaleresque, rompant son enveloppe barbare, commençait à s’épanouir au jour, et l’évêque de Passau se plut à esquisser, au milieu de ses héros imaginaires, le portrait véritable d’un homme qu’il admirait.

Ce que Pilegrin avait fait pour Rudiger par affection de famille, les Minnesingers le firent pour lui par reconnaissance poétique : ils introduisirent le bon évêque dans le canevas de ses propres inventions avec un rôle conforme d’ailleurs à son caractère et à ses goûts. Le Niebelungenlied nous le dépeint, dans sa cour épiscopale de Passau, donnant l’hospitalité au cortège qui emmène chez les Huns la reine Crimhilde, sa nièce, car on fait de Pilegrin un frère de la reine Utta, femme de Ghibic. Dans le poème de la Complainte, c’est le lettré curieux, le collecteur d’aventures héroïques qui se montre plus volontiers à nous.