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fidèles et savantes de Niebuhr. Rask mourut, il est vrai, à quarante-cinq ans; mais il avait rapporté de son voyage dans la Perse et dans l’Inde une collection de manuscrits orientaux fort anciens, dans lesquels il avait déjà fait lui-même d’importantes découvertes. Les travaux de M. Lassen ont fait de lui un digne collaborateur du regrettable Eugène Burnouf; dans ces dernières années enfin, M. Westergaard s’est signalé par ses remarquables travaux sur cette écriture cunéiforme, nouvelle énigme proposée à la science européenne par le passé, qui sera vaincu. C’est ainsi que l’ardeur d’une nouvelle école danoise à étudier de préférence tout ce qui intéressait la patrie l’a conduite, en concentrant son attention et ses forces, vers des études plus larges et désormais plus originales. En même temps qu’elle retrouvait la filiation primitive des races qui habitent aujourd’hui le nord de l’Europe, cette école a pris une place à part dans la science moderne, qui serait privée sans elle de quelques-unes de ses plus belles découvertes.

La guerre est venue dans ces dernières années interrompre le travail de la ruche laborieuse; mais le Danemark était préparé à soutenir vigoureusement l’attaque, non pas seulement par le courage et la bonne discipline de ses marins et de ses soldats, mais surtout par cet esprit public qui s’était formé depuis le commencement du siècle. Toutes les forces vives du pays avaient été dirigées vers un but unique, revendiquer et glorifier la nationalité danoise. Les savans et les poètes avaient donné l’exemple; le peuple, qui jusqu’alors n’avait fait que les encourager de ses applaudissemens, le peuple eut son tour; il défendit par les armes une patrie qu’on lui avait fait connaître et aimer. Écrivains et poètes le suivirent contre l’Allemagne; toute plume se changea en épée, toute poésie en chant de guerre, et, parmi les glorieuses inscriptions qui décoraient les ares de triomphe sur le passage de l’armée victorieuse rentrant à Copenhague, celle-ci brillait avant toutes les autres : « Nous savons aujourd’hui que nous sommes véritablement une nation! » Ainsi s’est réalisé ce rare exemple d’une nationalité que les lettres ont surtout contribué à former. La dernière guerre contre l’Allemagne en a été la plus vivante expression, et, loin de rompre cette union féconde de l’esprit public et des lettres, elle leur a rendu, en échange des loisirs qu’elle a pu leur enlever, une verve, une dignité, un bon sens qui resteront les glorieux caractères de la littérature et de la société danoises.


A. GEFFROY.