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Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/937

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pourtant discuter. Si les poètes confondent volontairement la franchise avec la méchanceté, si la foule ignorante les croit sur parole, à quoi bon prêcher la vérité ? Il y a deux manières de répondre : le raisonnement et les faits. Si les poètes récusent la critique sincère, ils ne peuvent empêcher l’opinion de se modifier, de se transformer sous l’action permanente de la discussion, et, quand la sympathie publique les abandonne, bon gré mal gré il faut bien qu’à leur tour ils se transforment, sous peine de voir la solitude s’agrandir autour d’eux. Voilà ce que dit le raisonnement, ce que le plus simple bon sens suffit d’ailleurs pour comprendre ; car les poètes, malgré la joie qu’ils trouvent à s’écouter, n’inventent pas cependant pour le seul plaisir d’inventer : ils ont besoin d’être applaudis, d’entendre leur nom répété chaque jour par des amis inconnus. Or, pour obtenir les applaudissemens, il faut tenir compte de l’opinion, et, si la critique sincère pétrit l’opinion comme une cire obéissante, les inventeurs auront beau faire, ils subiront l’ascendant de cette critique tant dédaignée. Si cette argumentation laissait debout l’ombre d’un doute dans l’esprit du lecteur, je me contenterais de rappeler ce qui s’est accompli depuis vingt ans dans le domaine littéraire. Les idées aujourd’hui généralement acceptées, les jugemens qui sont devenus des lieux communs, ont d’abord passé pour des paradoxes ; mais la critique a tenu bon et n’a pas reculé d’une semelle. Qu’est-il arrivé ? À force d’entendre chaque jour répéter les mêmes réprimandes, démontrer les mêmes principes, la foule a fini par croire à la justice de ces réprimandes, à la vérité de ces principes, et la critique peut à bon droit s’applaudir de sa persévérance. Ce que j’ai dit du roman, du théâtre et de la poésie lyrique, est aujourd’hui si évident, si généralement accepté, qu’il semble inutile de le dire ; ce n’est à proprement parler qu’une récapitulation. Il y a vingt ans que la démonstration est entamée, vingt ans que les argumens se multiplient et se produisent sous des formes variées, tantôt graves comme un théorème d’Euclide, tantôt armées de l’ironie comme une philippique. Aujourd’hui la bataille est gagnée ; la foule est édifiée sur la valeur des idoles qui se donnaient pour la vérité, pour la beauté suprême. La bataille est gagnée par les argumens mis en ligne depuis vingt ans, mais la bataille recommence, car la foule se plaît dans l’adoration des idoles. Ainsi la tâche de la critique sincère ne s’épuise jamais. Espérons que des soldats plus nombreux viendront bientôt se rallier sous son drapeau.

Si notre espérance était déçue, ce serait pour les écrivains qui pratiquent la franchise une raison de redoubler leurs efforts. L’histoire de ces vingt dernières années est un encouragement qu’ils ne méconnaîtront pas. Produire sous le feu croisé des malédictions et des calomnies les idées qui deviennent plus tard la monnaie courante de la