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Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/938

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conversation, n’est pas un travail ingrat. Si la lutte est vive, la récompense n’est pas indigne de la lutte.

Cependant la mission de la critique ne finit pas là : il ne suffit pas de combattre les fausses doctrines et les œuvres boiteuses qu’elles ont inspirées, il faut encourager les talens naissans, qui puisent à la source féconde de la nature et de la vérité. C’est la seule manière de répondre aux reproches que la foule répète à l’envi. Elle accuse la critique de couper les ailes du génie. Plaisante accusation, vraiment ! Si le poète qui se croit doué de génie possède vraiment le don qu’il s’attribue, il peut défier toutes les attaques, et se rire de toutes les censures ; les ailes mutilées repoussent d’elles-mêmes. À quoi bon insister sur une pareille niaiserie ? Le talent sincère, le talent vigoureux résiste à la discussion ; les talens factices, les talens exagérés par les coteries sont les seuls qui succombent, et qui oserait s’en plaindre ? Oui, sans doute la critique a reçu du bon sens une double mission : réfuter, combattre à outrance les doctrines mensongères ; encourager de ses vœux, de ses applaudissemens, tous les jeunes esprits qui entrent dans la carrière animés de sentimens généreux, avec la ferme résolution de demander au travail, à la méditation, les élémens d’une solide renommée. Telle a toujours été ma conviction, et depuis vingt ans je crois que la critique sincère a fidèlement accompli cette double mission. Les clameurs qu’elle a soulevées ne changent rien à la nature des choses : j’ai la ferme conscience qu’elle a encouragé, exalté bien des talens que la foule dédaignait. Elle a combattu avec ardeur, elle a démonétisé avec persévérance de prétendus inventeurs dont la valeur lui semblait exagérée par l’ignorance, et voilà pourquoi tant de gens se plaisent à la traiter d’iconoclaste. Je ne perdrai pas le temps à la justifier, car le bon sens public a depuis long-temps fait justice de ces ridicules accusations ; mais je crois utile de définir nettement ce que j’entends par encouragement.

Tout esprit qui essaie de se frayer une voie nouvelle, qui relève de lui-même, et de lui-même seulement, qui ne jure sur la parole d’aucun maître, mérite que la discussion vienne à son secours et donne à la foule le signal des applaudissemens ; mais il faut pourtant que la critique sache contenir sa bienveillance dans de justes limites. Depuis trente ans, on a trop souvent abusé d’une parole prononcée par Chateaubriand, et dont peut-être il n’avait pas lui-même mesuré toute la portée. L’illustre auteur de René avait dit : Il est temps de substituer la critique des beautés à la critique des défauts. Il y a sans doute une part de vérité dans cette affirmation. Cependant il s’en faut de beaucoup qu’elle puisse être acceptée comme un guide sûr et fidèle. Quoi que puissent dire tous les apôtres de la bienveillance universelle, la critique des beautés n’est pas la seule féconde, la critique des défauts