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la même grace, la même spontanéité, la même harmonie. Le style d’Athènes est un chant mélodieux ; le style de Rome, plus viril, j’en conviens, est loin d’avoir le même charme. Toutefois, je crois fermement que la littérature française, en se modelant sur la littérature grecque, se condamnerait à la stérilité. En dehors des questions de style, la Grèce ne peut nous donner que des conseils, car, en reprenant les sentimens et les pensées qu’elle a si éloquemment exprimés, nous n’avons devant nous qu’une seule route ouverte, la route de la servilité.

L’Europe moderne, alliée à la France par la religion, par la philosophie, par le développement politique, n’est pourtant pas sans danger dans l’ordre littéraire, dès qu’on veut chercher en elle un sujet d’imitation. Je m’explique. Leibnitz a pu rêver la création d’une langue universelle, et son rêve n’avait rien d’insensé, puisque l’illustre auteur de la Théodicée ne songeait qu’aux intérêts de la philosophie ; mais, dans l’ordre poétique, ce rêve, s’il venait à se réaliser, ne porterait aucun profit à l’imagination. La vérité proclamée pour la première fois par l’illustre médecin de Cos, reprise par Montesquieu et plus tard par Herder, n’a pas encore perdu aujourd’hui une parcelle de sa valeur : les langues et les races dépendent de la configuration des lieux. Vouloir ramener la poésie de tous les peuples à l’unité ne va pas à moins qu’à tenter l’impossible. Il ne faut jamais oublier que chaque peuple a son génie et ne peut s’en dépouiller. La fierté castillanne, la mollesse italienne, la rêverie allemande, la mélancolie anglaise, ne sont pas de purs caprices, des accidens passagers, et ce qui le prouve, c’est que nous pouvons compter sans peine les génies qui ont dérogé au caractère de leur pays. Contre Dante, aussi mâle qu’Eschyle, nous avons Pétrarque, l’Arioste et le Tasse. Byron ne pouvait naître en Allemagne, Goethe ne pouvait naître en Angleterre ; sur les bords du Rhin ou de la Tamise, Cervantes n’eût pas été compris. Si l’Europe moderne peut offrir à la France d’utiles enseignemens, elle ne peut jamais devenir pour elle un sujet d’imitation. Consultons-la, étudions-la, nourrissons-nous de sa pensée, mais n’essayons pas de transplanter chez nous les procédés familiers à son intelligence, car l’imitation la plus fidèle, la plus ingénieuse, n’aboutirait jamais qu’à la stérilité, n’obtiendrait que l’indifférence. À cet égard, nous pouvons parler avec une entière sécurité, nous n’avons pas à redouter le reproche de présomption. L’expérience a été faite sous la restauration, et chacun sait les fruits qu’elle a portés. Pendant quinze ans, la France s’est évertuée à imiter l’Europe moderne, et n’a réussi qu’à produire des œuvres impersonnelles. Les hommes qui ont laissé de leur passage une trace durable et glorieuse n’ont gravé leurs noms dans toutes les mémoires qu’en renonçant à l’imitation. Quant à ceux qui se sont donnés pour les filleuls de