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pas dans les applaudissemens qu’il a recueillis, dans l’indifférence qu’il a subie, un enseignement significatif, un avertissement salutaire pour la génération nouvelle ?

Quel sera l’avenir prochain de notre littérature ? À quelles sources faut-il lui conseiller, sinon de se régénérer, du moins de se renouveler ? Question délicate, et que personne ne peut se flatter de résoudre d’une façon positive. Il est permis cependant de présenter à cet égard des conjectures très probables. Le bon sens indique en effet trois sources diverses dont chacune est pourvue d’une valeur spéciale : l’antiquité, l’Europe moderne, et la France elle-même. Il serait loisible d’ajouter l’Orient, mais l’Orient est encore trop peu connu pour qu’il soit nécessaire d’en tenir compte dans les discussions purement littéraires. L’Orient jusqu’à présent n’est pas sorti du domaine de l’érudition pure. L’Inde et la Perse ne sont encore que des objets de pure curiosité pour les hommes qui se livrent à la culture de l’imagination. Il s’écoulera peut-être un demi- siècle avant que les poètes de notre pays rangent l’Inde et la Perse parmi leurs études habituelles. Ainsi la première source dont nous ayons à discuter l’utilité n’est autre que l’antiquité classique. Or, je ne crains pas de l’affirmer, cette source, quelque salutaire, quelque féconde qu’elle soit, ne suffirait pas à renouveler notre littérature. La Grèce est assurément une mère généreuse, une conseillère pleine de sagesse et d’autorité que les meilleurs esprits ne consulteront jamais sans fruit. Pourtant ce serait folie de demander à la Grèce le renouvellement de l’imagination française. Les plus beaux ouvrages enfantés sous le ciel d’Athènes contrarient, sur trop de points nos idées religieuses et morales pour qu’il soit prudent de vouloir les imiter. Vainement invoquerait-on l’exemple glorieux d’André Chénier : il ne faut pas oublier que le chantre de la Jeune Captive, en se nourrissant du fait de la poésie grecque, ne portait pas son ambition au-delà du style. Ramenée à ces termes, l’étude de l’antiquité mérite en effet les plus vives sympathies. Depuis la simplicité homérique jusqu’à la grâce alexandrine de Théocrite, depuis l’énergie virile d’Eschyle jusqu’au génie un peu efféminé d’Euripide, depuis les strophes impérieuses de Pindare jusqu’aux pensées délicates de Bion et de Moschus, la Grèce est pleine d’enseignemens, mais, pour tirer parti des leçons qu’elle nous offre, il faut surtout porter son attention sur la sobriété du style. Nulle part mieux qu’à l’école d’Athènes, nous ne pouvons apprendre l’art d’enfermer en peu de mots des pensées abondantes. Rome ne vient qu’en seconde ligne, car elle confond trop souvent la concision avec la précision. Athènes est et demeure la maîtresse souveraine dans toutes les questions qui se rattachent à l’expression de la pensée ; Rome, souvent plus mâle dans la conception. n’a jamais rencontré dans le maniement de la parole