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— Quoi ! mon bon Tampicelli, vous me faites sérieusement une proposition de mariage ! s’écria la jeune fille.

— Je te l’aurais faite depuis long-temps, si je n’avais laissé à Bologne une femme malheureusement trop légitime et trois enfans en bas âge.

La Marietta ne répondit rien, mais elle tira de l’armoire son petit trousseau de linge et le rangea dans sa boîte, dont elle passa la bretelle autour de son cou. Elle allait partir, quand le directeur épouvanté la pria humblement, à mains jointes, de ne point abandonner sa pauvre troupe comique, de ne point le ruiner de fond en comble. Comme il la vit indécise, il redoubla d’éloquence ; le son de sa voix s’altéra ; des larmes roulèrent dans ses yeux, et la naïve jeune première sentit sa colère s’évanouir. Elle consentit à rester encore. Trois jours après cette soirée si remplie d’émotions, l’affiche illustrée annonçait la représentation des Tre Gelosi, au bénéfice de la signora Marietta.

Il y avait dans la troupe un garçon nommé Francesco, de mœurs plus douces que les autres, plus poli et un peu moins voleur, qui remplissait les fonctions de régisseur et doublait parfois les rôles de Léandre. C’était le seul homme de qui Maria n’eût point à se plaindre. Dans le trajet de Sinigaglia à Ancône, Francesco avait laissé tomber du sac aux accessoires un méchant pistolet de bois qui ne valait pas vingt baïocs. Tampicelli l’accusa d’avoir vendu cette arme de luxe, et le soupçon d’une si grave infidélité engendra des discussions, des reproches pleins d’aigreur. Une heure avant la représentation des Tre Gelosi, le régisseur vint rappeler au capo comico qu’il y avait un souper à la dernière scène, et qu’un plat de macaroni devait être servi : cet accessoire ne se trouvait point dans son sac. Le directeur ne daigna pas répondre. On commença le spectacle ; la salle était bien garnie, et le premier acte eut du succès. Francesco, voyant que le dénoûment serait manqué si le souper ne paraissait pas, sortit un moment du théâtre et se promena dans la rue en proie au sombre chagrin de l’artiste privé des objets nécessaires à l’exercice de sa profession. Par une fenêtre du rez-de-chaussée, il aperçut chez un voisin les apprêts d’un souper. La servante déposait sur la table un plat de macaroni. Le régisseur s’élance dans la chambre, saisit l’accessoire important que le hasard lui offrait, et l’apporte en triomphe sur la scène. Ce trait de courage et de génie fut mal récompensé. Le lendemain, le bourgeois volé porta plainte. Au lieu de remercier et de soutenir son régisseur, Tampicelli l’abandonna sans pitié au tribunal de simple police, qui l’envoya en prison pendant vingt-quatre heures. Lorsqu’il en sortit, le cœur ulcéré, Francesco rencontra la jeune première triste et pensive ; elle venait de recevoir le produit de la représentation à son bénéfice, qui se montait, selon les comptes du directeur, tous frais dé-