duits, à vingt-cinq paoli (douze francs cinquante centimes). — Ma pauvre Marietta, dit-il, vous êtes indignement trompée. La recette s’élevait à plus de cinquante écus romains. Je quitte ce directeur ingrat et rapace, et je retourne dans mon pays. Partez avec moi ; je vous accompagnerai jusqu’à Vérone, et de là vous irez facilement à Bolzano.
— C’est peut-être ce que j’aurais de mieux à faire, dit la jeune fille en regardant d’un air piteux ses vingt-cinq paoli. La misère nous envahit ; nous ne déjeunons pas tous les jours et nous ne dînons pas sept fois par semaine. Je suis lasse de ce régime. Vous êtes un honnête garçon, Francesco, emmenez-moi.
Sans avertir personne et sans faire d’inutiles adieux, Francesco et la Marietta prirent ensemble le chemin de la Lombardie, tous deux légers de bagage et d’argent, mais gais, bien portans et enchantés de leur escapade : ils avaient déjà parcouru six lieues à pied, quand le seigneur Tampicelli découvrit qu’il n’avait plus ni jeune première ni régisseur.
V.
À la fin d’octobre, trois mois après la foire de Sinigaglia, à laquelle je ne pensais plus, la Gazette de Venise publia des détails curieux sur les débordemens périodiques de l’Adige. Un peintre français me proposa de faire une excursion dans le Tyrol italien. Du haut du campanile de Saint-Marc, nous regardâmes les montagnes de Bellune, coiffées d’un immense turban de nuages noirs. Le ciel pur de Venise avait pris un peu de pâleur, et, afin que la reine des lagunes pût jouir dans son bain des douceurs de l’automne, la nature se déchaînait sur la terre ferme. J’acceptai la proposition du peintre français. Nous prîmes le chemin de fer de Padoue, et le velocifero nous mena en douze heures à Trieste. De là nous entrâmes dans les montagnes, en évitant le cours de l’Adige, qui avait rompu la route postale. Notre excursion dura plus long-temps que nous ne l’avions prévu. Nous visitâmes le Brenner, Inspruck, la montagne de l'Aigle, des glaciers, des châteaux construits sur des pointes de rochers. Au bout de quinze jours, nous étions revenus à Brixen, et, comme l’Adige était rentré dans son lit, mon compagnon de voyage alla retenir deux places au bureau de l’omnibus de Bolzano, tandis que j’entrais dans une bierrerie. C’était le matin. Il n’y avait personne dans la grand’salle. Un garçon, dont la figure ne m’était pas inconnue, nettoyait les vitres des fenêtres. Pour ne pas le distraire de son occupation, la Kellnerinn, parée de son tablier blanc et du porte-feuille à serrure, insignes de son emploi de confiance, daigna me servir elle-même. En déposant un pot de bière devant moi, elle