Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/1008

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

stériles. Plus récemment[1], je me suis procuré des documens nouveaux, et qui m’ont semblé de quelque valeur, sur une vie où tout est marqué, on peut le dire, d’un caractère d’éclatante originalité.

Un homme, entre tous ceux que j’ai rencontrés dans une carrière qui m’a mis en contact avec des lieux et des caractères bien divers, possédait, suivant moi, une connaissance approfondie, une intelligence nette et certaine du peuple arabe. C’est à cet homme que je me suis adressé : j’ai demandé à l’émir Abd-el-Kader, quelques mois avant l’acte de clémence qui l’a rendu à la liberté, des observations sur les chevaux du Sahara, et en même temps de nouveaux détails sur quelques parties de l’existence africaine. Ce que l’on va lire est tiré presqu’en entier d’une longue lettre écrite de sa main. Proverbes arabes, tours orientaux, superstitions populaires en Afrique, j’ai conservé tout ce qui me semblait une séduction pour l’esprit français dans le sujet sur lequel je voulais attirer l’attention ; ce sujet, c’est la chasse, qui, suivant les Arabes, est la meilleure école du guerrier. J’entrerai en matière comme Abd-el-Kader lui-même, par une légende qui m’a paru avoir un tour saisissant de grâce et de vivacité.

On raconte qu’un cheikh arabe était assis au milieu d’un groupe nombreux, quand un homme qui venait de perdre son âne s’offrit à lui, demandant si quelqu’un avait vu l’animal égaré ; le cheikh se tourna aussitôt vers ceux qui l’entouraient et leur adressa ces paroles : « En est-il un parmi vous à qui le plaisir de la chasse soit inconnu ? qui n’ait jamais poursuivi le gibier au risque de se tuer ou de se blesser en tombant de cheval, qui, sans crainte de déchirer ses vêtemens ou sa peau, ne se soit jamais jeté, pour atteindre la bête fauve, dans des broussailles hérissées d’épines ? En est-il un parmi vous qui n’ait jamais senti le bonheur de retrouver, le désespoir de quitter une femme bien-aimée ? » Un des auditeurs repartit : « Moi, je n’ai jamais rien fait ni rien éprouvé de ce que tu dis là. » Le cheikh alors regarda le maître de l’âne. « Voici, dit-il, la bête que tu cherches. Emmène-la. »

Les Arabes disent en effet : « Celui qui n’a jamais chassé, ni aimé, ni tressailli au son de la musique, ni recherché le parfum des fleurs, celui-là n’est pas un homme, c’est un âne. » Chez un peuple où la guerre est avant tout une lutte d’agilité et de ruse, la chasse est le premier des passe-temps. La poursuite des bêtes sauvages enseigne

  1. En m’occupant d’un livre qui a été accueilli en France et à l’étranger avec une sympathie sur laquelle je n’osais point compter, les Chevaux du Sahara, dont je prépare une édition nouvelle, qui, j’ose l’espérer, rendra cet ouvrage plus digne encore de la bienveillance du public.