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des auteurs les plus en vogue il ne pouvait manquer d’éclipser tous les journaux : il fonda à grands frais le Representative, qui comptait M. Disraeli parmi ses actionnaires et sans doute parmi ses écrivains. M. Murray abandonna la partie au bout de quelques mois, après avoir perdu près de 400,000 francs. Quelques années plus tard, vers 1836, des écrivains radicaux essayèrent de transformer le Public Ledger en un journal politique à grand format auquel ils donnèrent le nom de Constitutionnel. Au bout de quelques mois, il fallut renoncer à cette tentative, qui coûta 150,000 francs à ses auteurs. Depuis l’apparition du Morning Advertiser en 1793, un seul journal a su triompher de tous les obstacles et se faire une place dans la presse : c’est le Daily-News, qui date de 1846, et qui a par conséquent six années d’existence.

Plusieurs des écrivains qui ont fondé le Daily News avaient appartenu précédemment au Chronicle : ils avaient donc la pratique du métier, et, malgré quelques erreurs coûteuses, ils évitèrent la plupart des fautes qui font échouer les entreprises nouvelles. Le Daily News, à ses débuts, parut sur huit pages, et tout à fait sur le même pied que les journaux du matin : seulement, comme il avait besoin de se faire connaître et de conquérir la popularité, il déploya une grande activité et fit de véritables tours de force. Ainsi, lors de la fameuse séance dans laquelle sir Robert Peel développa son plan financier et proposa l’abolition des corn-laws, le ministre ne finit de parler qu’entre deux heures et demie et trois heures du matin, et à cinq heures le Daily News se vendait dans Londres, contenant in extenso le discours du premier ministre; à huit heures, il arrivait à Bristol et à Liverpool par des convois spéciaux; à midi, il était en Écosse, et le lendemain, à dix heures du matin, il arrivait à Paris : le chemin de fer du Nord ne marchait pas encore. Une pareille célérité dans l’impression et la distribution d’un journal était encore sans exemple. Au bout de six mois, quand le Daily News eut constaté sa vitalité et montré ce qu’il pouvait faire, il se réduisit tout d’un coup à quatre pages très-compactes, et il se vendit deux pence et demi ou cinq sous. C’était tout ce qu’il en coûtait pour lire les autres journaux dans les cabinets de lecture de la Cité. Le Daily News prétendait donner à moitié prix un journal complet : il essayait d’accomplir en Angleterre la révolution qui s’était opérée dans la presse française douze ans auparavant. Ce dessein, hautement avoué, souleva contre le nouveau journal une véritable tempête qui servit à le populariser. Le Times entreprit de démontrer, par des calculs, que la tentative du Daily News devait conduire promptement ce journal à la ruine. Le Daily News sembla le reconnaître lui-même lorsque, le 27 janvier 1847, il se mit à trois pence ou six sous. Il lutta courageusement à ce prix pendant deux ans, et, par l’attrait du bon marché, il arriva à avoir un moment jusqu’à vingt-trois mille lecteurs ; mais il ne put se soutenir plus longtemps, faute d’une clientèle d’annonces suffisante, et il dut renoncer à sa tentative. Une circonstance qui avait servi ses débuts contribua à sa défaite. Au moment où naissait le nouveau journal, une lutte acharnée était engagée entre le Times et le Herald. A la suite d’explorations laborieuses, par des sacrifices d’argent considérables et à force de persévérance, le Times avait réussi à accomplir ce que le gouvernement anglais n’avait pu faire : il avait organisé un service mensuel de dépêches entre l’Inde et l’Angleterre par la voie de Suez et