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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/1043

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l’argent soit si dédaigné de nos jours. J’ai vu la cheminée d’une scierie à la vapeur s’élever à côté des tourelles féodales du manoir des Bedford. Nos grands seigneurs sont à la tête des chemins de fer, et font bien. Quant à mes confrères les auteurs, ils n’ont point horreur du gain, et l’exemple de La Bruyère donnant le manuscrit de ses Caractères à la petite fille de son éditeur, enfant qui l’amusait par son babil, n’a pas eu, que je sache, beaucoup d’imitateurs.

D’ailleurs sur ce mot littérature il faut s’entendre : parle-t-on seulement des odes, des tragédies et des poèmes épiques ? Oh ! pour cette littérature-là, je n e dirai pas que son temps est passé : de grands talens existent, d’autres peuvent paraître encore ; mais évidemment le monde ne va pas de ce côté. La littérature est aujourd’hui quelque chose de plus vaste et de plus compréhensif ; il y a une foule d’ouvrages qui ne peuvent se classer dans aucun des genres littéraires admis, qui cependant peuvent être des chefs-d’œuvre immortels, et même, quand ils n’auraient pas cette gloire, attestent la culture d’un peuple et le mérite de leurs auteurs. Études sur un temps, sur un pays, sur un homme, sur une question de philosophie, d’art, d’histoire ou de politique, exposition des résultats de la science, voyages, considérations, que sais-je ?… c’est ce que j’appellerais la littérature présente, celle qui crée des cadres et des moules nouveaux d’ouvrages, et dans laquelle surtout se produit la vie intellectuelle du temps. L’Angleterre possède une grande quantité de ces sortes de livres où l’information se joint au talent. L’Amérique n’en est point dénuée, et surtout rien n’empêche qu’elle n’en voie naître un grand nombre. Je crois fort que l’Amérique n’aura ni un Milton ni un Shakspeare, et je n’en prévois pas beaucoup pour l’Europe ; mais qui empêche qu’il ne se produise aux États-Unis un chef-d’œuvre de discussion et de philosophie politique comme le Fédéraliste ? qui empêche un autre Franklin de naître pour mettre sous une forme piquante des vérités pratiques ? Je n’ai pas parlé des romans, et il y a d’excellentes peintures de mœurs dans les récits de Paulding, de mistress Sedgwick, d’Hawthorne, ce dernier comme romancier bien supérieur à Cooper. On connaît les contes humoristiques d’Egar Poe, dont on a souvent parlé ici même. Depuis Patrick Henry, le tribun virginien, jusqu’à M. Clay et M. Webster, les États-Unis ont eu des orateurs, et leurs mœurs politiques leur sont une garantie qu’ils n’en manqueront jamais ; car partout où vit la liberté, il y a chance pour l’éloquence, L’Amérique est donc déjà et sera toujours de plus en plus dans des conditions littéraires peu dissemblables de celles de l’Europe.

Mais, dit-on, un pays commercial et démocratique n’est point propre à la littérature et aux arts ! — Quant à la première de ces objections, sans parler d’Athènes, qui était la ville la plus commerçante