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la peinture n’y est point morte ; mais pour avoir quelque chance de ce genre de succès qui est encore possible, il faut que les Américains changent leur méthode d’encourager les arts. La société de New-York qui porte le nom d’Art-Union emploie un revenu considérable, que lui fournissent des souscripteurs nombreux, à fonder des écoles de dessin et à acheter des tableaux exécutés par des peintres américains vivans ; elle en a acheté à deux cent cinquante-sept artistes : c’est dire qu’elle a dû en acheter de bien mauvais. Fonder des écoles de dessin est nécessaire, acheter des tableaux aux peintres vivans est fort utile ; mais quand on a tant d’argent, il faudrait en garder une partie pour se procurer en Europe des chefs-d’œuvre qui pussent servir de modèles. Tant qu’il n’y aura pas aux États-Unis un musée contenant un certain nombre d’ouvrages d’art excellens, bien choisis dans les différentes écoles, il sera impossible que la peinture fasse de véritables progrès. Que la société achète quelques tableaux de moins aux deux cent cinquante-sept artistes qu’elle encourage, que ses membres renoncent à quelques gravures, à quelques statuettes auxquelles ils ont droit d’après le règlement actuel ; qu’elle acquière tous les ans trois ou quatre tableaux des grands maîtres, dans dix ans le goût sera fondé, et il y aura chance pour une école américaine.

Dans une exhibition de tableaux qui n’appartenait pas à l’Union des Arts, et qui porte le nom de Galerie des Beaux-Arts, j’ai remarqué cinq tableaux de Cole, qui sont destinés à représenter les phases de la civilisation. Dans le premier, le soleil se lève sur de grandes forêts ; quelques sauvages se combattent, ou poursuivent leur proie : c’est l’âge de la chasse et de la guerre. Dans le second, des bergers sont assis dans un lieu tranquille, parmi de beaux arbres d’un aspect plus riant que les sombres forêts du premier paysage ; l’agriculture commence. Le troisième tableau représente une ville opulente remplie d’édifices magnifiques ; l’or brille partout ; de grands navires y apportent les richesses du monde. C’est, si l’on veut, l’ère actuelle des États-Unis traduite en poésie orientale. Dans le tableau suivant, on voit cette ville magnifique livrée aux barbares. Dans le dernier, il n’y a plus que des ruines au-dessus desquelles s’élève une grande colonne et que la lune éclaire. La composition de ce drame en cinq actes est poétique : depuis deux siècles, les trois premiers actes ont été joués en Amérique, celui des barbares n’est pas à craindre ; mais le dernier est toujours possible, et qui sait si la lune ne se lèvera pas un jour sur les débris de la grande cité où je contemple aujourd’hui ce tableau, inspiré peut-être par un poème de M. Bryant, qui a pour titre la Source, et dans lequel l’auteur, se livrant à une rêverie ou plutôt à une méditation pleine de grandeur, trace l’histoire des âges