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« Elle passa le bras autour de son cou, et, sur ses lèvres fiévreuses, elle lui donna un baiser comme il en avait rêvé, mais comme il n’en avait jamais reçu. Il fut saisi d’une soudaine faiblesse. Il ouvrit la bouche pour respirer.

« -Une de ces potions, dit-il, vite, j’étouffe.

« Elle avait les yeux pleins de larmes ; un brouillard lui couvrait la vue. Elle versa la médecine dans un verre. Il l’avala et s’écria : — Quel goût étrange !

« Quelle horrible vision était passée devant elle ? Quelle terreur subite blanchit ses joues, quand, agenouillée devant la lampe, elle lut sur l’étiquette de la bouteille : Laudanum, poison ! Il y a une force miraculeuse dans l’effroi et dans l’angoisse, car elle ne trembla pas, elle ne s’évanouit pas ; mais, se précipitant vers la porte, elle demanda le docteur avec un tel accent d’agonie, que deux ou trois personnes sautèrent de leur lit pour aller le chercher. Elle s’assit à côté du lit étroit, mit la tête de Maurice sur sa poitrine, et le contempla avec des yeux pétrifiés et le cerveau en feu. « S’il allait mourir, je serais libre. » Y eut-il dans l’enfer un démon assez féroce pour lui souffler en ce moment à l’esprit ces mots qui l’avaient fait trembler hier, et qui ressemblaient aujourd’hui au cri de désespoir du condamné entendant sa sentence ? C’était une affreuse chose que son visage incliné sur celui de Maurice, de façon pourtant qu’il ne pût pas la voir. Il se plaignait de sensations étranges ; elle sentait la mort dans son propre cœur, mais elle parlait avec calme, car elle éprouvait une puissance inconnue de souffrir. Elle sentait que, s’il mourait, sa vie, à elle, serait une incessante torture de remords, mais que, tant qu’il vivait, il y avait une espérance pour elle, et que la merci de Dieu était immense et infinie comme sa douleur.

Le docteur vint en homme dérangé, vexé. Il y avait beaucoup de malades et de mourans sur ce misérable navire, et l’on avait crié après lui toute la nuit.

« — M. Redmond, dit-il en entrant dans la cabine, ne peut aller beaucoup plus mal que la dernière fois que je l’ai vu.

« Elle avait pris le flacon ; elle le plaça entre elle et lui et lui dit à l’oreille : « — Je lui ai donné cela.

« Il fait un mouvement en arrière et mâche un juron entre ses dents : « — Alors, pardieu, tout est fini pour lui.

« Elle ne s’évanouit pas, mais joignit ses mains crispées et lui dit : « — Sauvez-le ! sauvez-le ! Essayez au moins !

« Elle est à côté de lui, tandis qu’il emploie tous les moyens et tous les expédiens auxquels on a recours en pareil cas ; elle suit tous ses mouvemens en silence, retenant sa respiration entrecoupée, avec l’anxiété de la mort.

« — Je ne peux faire davantage, dit-il enfin, et je ne peux rester plus longtemps : on a besoin de moi ailleurs. Il faut que vous le teniez éveillé, si vous pouvez ; tout dépend de là. Faites comme vous pourrez. Parlez-lui, remuez-le. Il faut que je m’en aille.

« Elle lui prit le bras, et, avec un regard qui émut même cette dure nature, elle lui dit :

« — Dites à Adrien d’Arberg de venir ici à l’instant. Dites-lui que Maurice Redmond se meurt, et que c’est sa femme qui l’a tué.

« Elle s’agenouilla devant son mari ; elle ne lui cachait plus son visage. Elle lui parla avec une voix, elle le regarda avec des yeux qui semblaient