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termes, la vie humaine ne se suffit pas. Et d’abord il est assez clair que ce monde, où l’homme s’agite, n’est pas le théâtre de la justice parfaite et de la parfaite félicité. Le mal y lutte contre le bien, la violence contre le droit ; la laideur, la faiblesse et la misère s’y rencontrent avec la richesse, la force et la beauté. Ce n’est rien toutefois : adoucissez les souffrances humaines, améliorez les institutions et les lois, donnez aux sciences leur plus puissant essor et leurs plus utiles découvertes, en un mot couvrez le monde des créations de l’industrie, de la parure des arts, des bienfaits de la philanthropie, — l’homme n’est pas satisfait. Vous pouvez développer toutes ses facultés, vous ne changerez pas sa nature. La perfectibilité indéfinie, si chère au XVIIIe siècle, est un rêve. Réalisez l’utopie de Condorcet, prolongez la vie humaine pendant plusieurs siècles : vous ne ferez jamais de l’homme autre chose qu’un être fini par ses organes, infini par ses désirs et par sa raison, qui vit sur la terre et qui pense au ciel.

Là est la racine de la religion. Tant que la vie terrestre ne donnera pas le parfait bonheur, tant qu’il y aura dans l’homme, avec la raison qui médite sur les mystères de l’éternité, l’imagination qui en anticipe la connaissance, le cœur qui tressaille en présence de l’inconnu, et cette inquiétude mystérieuse et profonde qu’aucun raisonnement ne peut complètement satisfaire, — la religion sera le sentiment le plus sublime du cœur humain et le ressort le plus puissant de la vie sociale. Ce sont là des vérités de tous les temps et de tous les lieux ; pour qui se reporte maintenant à la situation morale de la France après les orages de la révolution, et considère les habitudes séculaires du culte violemment interrompues, le sentiment religieux, plus indestructible encore que les habitudes, comprimé par la tyrannie, un clergé - que le scepticisme avait amolli - retrouvant au sein des persécutions les vertus de la primitive église et la sympathie des peuples, tant d’illusions évanouies, tant d’espérances trompées, tant de sang répandu, tant de deuils imprévus et irréparables ; pour qui rassemble toutes ces causes, j’ose dire que ce grand mouvement de renaissance religieuse, qui a laissé sa date littéraire dans le Génie du Christianisme et sa date politique dans le concordat, n’a plus rien qui puisse étonner.

On se plaît à dire que les amis de la philosophie sont à la fois surpris et désespérés de ce retour universel des âmes vers la religion. D’abord, ce ne serait vraiment pas la peine d’être un peu philosophe, c’est-à-dire observateur de la nature humaine, pour être surpris en la voyant se développer suivant ses lois, aller d’un matérialisme impie à l’extrémité opposée, exagérer la défiance à l’égard de la pure spéculation après s’y être confiée sans mesure, encourager les faiblesses, les violences, les puérilités qui se couvrent du manteau de