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lords dans les publications officielles : ce n’est jamais leur adresse à Londres qui suit l’indication de leur nom, c’est leur résidence à la campagne. Le duc de Norfolk est porté comme résidant à Arundel-Castle, dans le comté de Sussex ; le duc de Devonshire, à Chatsworth-Palace, dans le comté de Derby ; le duc de Portland, à Welbeck-Abbey, dans le comté de Nottingham, et ainsi de suite. Chaque Anglais connaît au moins le nom de ces habitations seigneuriales aussi illustres que les noms mêmes des grandes familles qui les possèdent. Outre la magnificence qu’y déploient leurs propriétaires, quelques-unes d’entre elles ont une origine qui se lie à la gloire nationale. Le nom du duc de Marlborough est inséparable de celui de Blenheim, magnifique château donné par l’Angleterre au vainqueur de Louis XIV, et une même origine associe le manoir de Strathfieldsaye au souvenir des victoires du duc de Wellington.

Il en est des membres des communes comme des lords. Quiconque possède une habitation rurale ne manque pas de l’indiquer comme sa résidence habituelle. Personne n’ignorait, par exemple, le nom de la maison de campagne de sir Robert Peel, — Drayton-Manor. L’apparence est ici parfaitement d’accord avec la réalité. Les membres des deux chambres n’ont guère à Londres qu’un pied à terre, où ils ne viennent que pour la saison du parlement. Ils passent le reste de leur temps à la campagne ou en voyage. C’est pour la campagne que chacun réserve son luxe ; c’est là surtout qu’on se visite, qu’on se donne des fêtes, des rendez-vous de plaisir.

La littérature nationale, expression des mœurs et des habitudes, porte partout les traces de ce trait distinctif du génie anglais. L’Angleterre est le pays de la poésie descriptive, presque tous ses poètes ont vécu aux champs et ont chanté les champs. Même au temps où la poésie anglaise essayait de se modeler sur la nôtre, Pope célébrait la forêt de Windsor et écrivait des pastorales ; si son style était peu rural, ses sujets l’étaient. Avant lui, Spencer et Shakspeare avaient eu des élans admirables de poésie champêtre ; le chant de l’alouette et du rossignol retentit encore, après des siècles, dans les ravissans adieux de Juliette à Roméo. Milton, le sectaire Milton, a consacré ses plus beaux vers à la peinture du premier jardin, et au milieu des révolutions et des affaires, ses rêves le portaient vers la campagne idéale du Paradis perdu. Mais c’est surtout après la révolution de 1688, quand l’Angleterre, devenue libre, peut être tout à fait elle-même, que l’amour de la vie rurale pénètre profondément tous ses écrivains. Alors paraissent Gray et Thompson. Le premier dans ses élégies célèbres et entre autres dans le Cimetière de Campagne, le second dans son poème des Saisons, font résonner avec délices cette corde favorite de la lyre britannique. Les Saisons abondent en descriptions admirables ; il suffit de citer la fenaison, la moisson, la tonte des