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L’impôt lui-même, qui est en France une machine à épuisement pour les campagnes, n’a pas du tout en Angleterre le même caractère. Tout l’impôt direct se dépense sur les lieux mêmes où il est payé. La taxe des pauvres, la dîme de l’église, sont à peine sorties des mains du cultivateur, qu’elles y rentrent par l’achat de ses denrées. Les autres taxes servent uniquement à des travaux d’intérêt local. La moitié des impôts indirects étant absorbée par le paiement de la dette publique, qui appartient en grande partie aux propriétaires du sol, il en revient encore beaucoup à la vie rurale. Quand un tiers au moins du budget français se condense à Paris et un autre tiers dans les grandes villes de province, les trois quarts des dépenses publiques se répandent en Angleterre sur les campagnes et contribuent, avec les revenus des propriétaires et fermiers, à y répandre l’abondance et la vie.

Nous sommes, hélas ! bien loin de ces mœurs ; espérons que nous nous en rapprocherons peu à peu. Depuis quelques années, tout semble y conspirer. L’encombrement de la classe aisée dans les villes, l’incertitude des carrières qu’on venait y chercher, l’air fiévreux qu’on y respire, tendent à rejeter vers la vie rurale les ambitions déçues et les imaginations lassées. Quiconque a de quoi vivre honorablement à la campagne est bien près de comprendre que le plus sûr, comme le plus digne, est d’y rester, et ceux qui ne le comprennent pas encore sont bien près d’y être contraints par la difficulté toujours croissante de trouver à la ville un débouché. Une circonstance nouvelle vient d’ailleurs changer complètement les conditions de la vie champêtre ; le perfectionnement continu des communications, et surtout l’extension des chemins de fer, en rapprochant les distances les plus éloignées, font que le séjour habituel des champs devient conciliable avec les plaisirs de la société, l’importance politique, la culture de l’esprit et tous les agrémens de la civilisation. Là est le principe d’une révolution salutaire pour nos campagnes délaissées. Nous ne serons probablement jamais aussi ruraux que les Anglais, nos villes ne deviendront jamais autant que les leurs de simples ateliers de commerce et d’industrie ; mais, pourvu qu’une portion toujours plus grande de la société aisée vienne repeupler nos manoirs déserts, ce sera toujours un bienfait.

Quant à l’impôt, il ne sera pas moins difficile de détourner le courant qui le porte vers Paris et les grandes villes ; mais, si quelque chose peut atténuer cette perpétuelle aspiration, c’est la résidence à la campagne des propriétaires influens, qui défendraient un peu plus leurs intérêts, s’ils les voyaient habituellement de plus près.


LEONCE DE LAVERGNE.