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ADELINE PROTAT.

le pauvre garçon n’en savait rien ; mais il en éprouva une souffrance plus vive encore que toutes celles qu’il avait endurées pendant sa lutte avec la mort. Tout à coup il revint en même temps de cœur et d’esprit au sentiment de la réalité ; il se rappela ! et le premier souvenir qui s’offrit à sa mémoire le porta à chercher autour de son cou un objet qu’il ne trouva plus. Ses idées lui revinrent alors lucides et complètes, et la disparition du petit sac lui expliqua le changement opéré dans les manières d’Adeline.

Le mouvement fait par le jeune garçon quand il avait porté la main à son cou n’avait pas échappé à la fille du sabotier. Au moment où Zéphyr retirait sa main, Adeline s’en empara vivement, et, la pressant avec dureté, elle lui dit brièvement, en se penchant à l’oreille, si bas qu’elle ne pouvait être entendue que de lui seul : — Pourquoi m’as-tu volée, Zéphyr ?

Et comme elle lui disait ces deux mots avec un accent qui lui causa plus d’effet qu’un violent reproche, Zéphyr ne sut que pâlir et fermer les yeux. Il lui fallut toute sa force pour contenir un cri qu’il étouffa dans sa gorge. La main d’Adeline, cette petite main frêle, avait acquis tout à coup cette force nerveuse qui donne une puissance passagère et factice aux natures les plus délicates. Cette main mignonne serrait les doigts de l’apprenti comme s’ils eussent été pris dans des tenailles, et il sentait les ongles s’enfoncer dans sa chair. La douleur était si vive, que le cœur lui en manqua presque. En le voyant pâlir, Adeline l’avait lâché. Surexcitée un moment et inhabituée jusqu’ici aux chocs violens, la jeune fille, brisée par l’excès même de ses émotions, retomba dans une calme immobilité.

Le jeu muet de ces sentimens, que le jeune peintre tâchait d’étudier sur le visage de ceux qui les éprouvaient, avait complètement échappé au bonhomme Protat et s’était accompli en dix fois moins de temps qu’il n’en a fallu pour le raconter.

— Eh bien ! s’écria tout à coup le bonhomme en dégageant Adeline et Zéphyr de l’étreinte pleine d’effusion dans laquelle il les avait confondus un moment, comment te trouves-tu, mon garçon ?

Et il regarda Zéphyr, qui n’osait lever les yeux, tant il craignait de rencontrer le regard courroucé d’Adeline : celle-ci s’était retirée dans un coin avec la Madelon. Zéphyr répondit avec une contenance embarrassée qu’il se trouvait tout à fait bien.

— Et voilà tout ? continua le sabotier. Tu ne dis pas seulement merci à celui qui a été te chercher dans la rivière, au risque d’y rester avec toi !

Et le sabotier, tirant Lazare par le bras, le voulut amener devant l’apprenti ; mais le peintre se recula, en faisant au bonhomme un signe négatif dont Protat, après une courte hésitation, parut com-