Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/1169

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
1163
ADELINE PROTAT.

— Il a assez bu comme ça aujourd’hui, répliqua le peintre en riant ; cependant que Madelon lui donne un bouillon, et qu’il s’endorme par là-dessus. Demain il aura meilleur appétit. Quant à nous, qui n’avons pas fait comme lui le voyage de l’autre monde, les vivres ne peuvent pas nous faire de mal, au contraire ; aussi, Madelon, le souper, et vivement. En attendant qu’on le serve, je vais mener Zéphyr dans la plume, — et je vais l’enfermer, glissa-t-il à l’oreille de Protat. — Tout à l’heure je vous dirai pourquoi, ajouta l’artiste.

L’apprenti se laissa emmener par Lazare. Quand ils furent arrivés au cabinet dans lequel couchait Zéphyr, Lazare lui dit très vite : — Demain matin, avant que tout le monde soit levé, je frapperai à ta porte ; habille-toi, et sois prêt ; j’aurai à te parler.

— À moi ? fit l’apprenti étonné.

— Oui, à toi, et je pourrai peut-être te donner des nouvelles de quelque chose que tu as perdu. — Ce n’est pas la peine de chercher, ajouta l’artiste en voyant Zéphyr, qui, tout étonné, portait machinalement la main à sa poitrine. Tu vois bien que ton petit sac n’y est pas.

— C’est vous qui l’avez trouvé ? s’écria Zéphyr avec un regard presque agressif.

Lazare ne fit pas semblant d’entendre et continua : — Si demain, au premier coup, tu n’es pas sur pied, j’instruis Protat de ce qui se passe. Te voilà prévenu, dors bien.

— Ah ! monsieur Lazare, dit Zéphyr, est-ce que vous croyez réellement que je vais dormir ?

— Peut-être pas si bien que si on t’avait laissé dans les roseaux du Loing ; mais tu dormiras. Bonsoir. Tâche de faire de jolis rêves.

Et Lazare sortit en enfermant le jeune garçon à clé. Quand il rentra dans la salle à manger, il trouva le couvert mis. Adeline et son père occupaient leur place ordinaire. Adeline était toujours aussi agitée malgré son apparence de calme. — Allons, se dit tout bas Lazare, j’ai donné un peu de tranquillité au petit Zéphyr, donnons un peu de calme à Adeline. — Et avisant un petit bout de ficelle qui sortait de la poche de la jeune fille, il lui dit très tranquillement : — Mignonne Adelinette, nous allons perdre quelque chose.

Adeline porta la main à sa poche. Elle sentit sous ses doigts quelque chose d’humide. C’était le sac qu’on avait trouvé au cou de Zéphyr ; c’était ce sac qui contenait son secret, son secret, qu’elle croyait tombé entre les mains de Lazare, qu’elle n’osait plus regarder. Ces souvenirs, qu’elle pensait perdus pour elle et retournés aux mains de celui à qui elle les avait dérobés, comme une dénonciation, comme un aveu même des sentimens qu’elle éprouvait pour lui, ils ne l’avaient donc pas quittée, son secret lui appartenait donc encore ! Mais tout à coup son inquiétude, un instant apaisée, lui revint plus persis-