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ADELINE PROTAT.

encore quelque chose à m’apprendre. Tu me disais en venant que tu connaissais ton état de sabotier depuis longtemps ; sais-tu que ce n’est pas honnête de ta part de ne pas avoir fait profiter ton maître de ce qu’il t’avait appris, et que ta paresse était comme un vol, puisque ton travail était un moyen de t’acquitter envers lui ?

— Je m’acquitterai plus tard, dit Zéphyr avec fierté.

— Temps passé, temps perdu, dit Lazare ; tu as été bien longtemps paresseux pour devenir laborieux !

— Mais, dit Zéphyr, parce que je ne faisais pas de sabots, je ne restais pas à rien faire. J’ai fait comme vous, monsieur Lazare, quand vous avez quitté un état qui vous déplaisait pour en apprendre un autre. Moi aussi, j’en ai appris un tout seul, parce qu’il me plaisait, et qu’on apprend bien quand on a du goût, et qu’on a envie de réussir, comme vous me le disiez tantôt. Si je faisais semblant de ne pas savoir mon métier, c’est que ça fatiguait M. Protat, et qu’il aimait encore mieux me savoir loin de son établi qu’occupé à lui gâcher du bois. Je recevais des coups et je mangeais du pain sec, c’est vrai, mais j’étais libre deux ou trois heures par jour, et pendant ce temps-là je travaillais en cachette de tout le monde.

— Mais à quoi ? à quoi ? demanda Lazare.

Au moment où Zéphyr allait répondre, des abois se firent entendre auprès d’eux, et au même instant un chien, qui venait déjà de passer devant eux, se dirigeait de nouveau vers l’un des paysagistes, qui était venu, sans que Lazare et son compagnon s’en fussent aperçus, piquer son parasol à une vingtaine de pas de l’arbre sous lequel ils avaient déjeuné. Un de ses compagnons, qui se trouvait à une égale distance, mais du côté opposé, lui cria : Théodore, donne les allumettes à Lydie.

— Voilà ! cria le paysagiste. — Et Lazare s’aperçut que son confrère mettait un objet dans la gueule du chien qui se disposait à rejoindre son maître.

— Parbleu ! dit Lazare, voilà une jolie bête, et commode !

Et pour voir le chien de plus près, au moment où il passait devant eux, l’artiste lui montra l’os du gigot. Lydie parut hésiter un moment, puis se rapprocha de Lazare ; mais, pour prendre l’os, la chienne fut obligée de lâcher l’objet qu’elle tenait dans la gueule. Lazare fit un geste d’admiration en ramassant le porte-allumettes que la bête avait laissé échapper.

— Ah ! la charmante chose ! fit-il en tournant et retournant dans ses mains ce petit meuble de bois de houx sculpté, ciselé, fouillé avec une grâce à la fois naïve et élégante. Cela vient peut-être de la Forêt-Noire.