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REVUE DES DEUX MONDES.

— Ça vient de la forêt de Fontainebleau, dit Zéphyr en se levant. Si vous en voulez un pareil, venez à ma boutique ;… vous n’aurez qu’à choisir… Vous en verrez bien d’autres, monsieur Lazare !…

Et voyant que Lazare demeurait tout interdit comme un homme qui ne comprend pas, Zéphyr ajouta avec une petite pointe d’orgueil : — C’est moi qui ai fait ça !

— Avec quoi ?… demanda machinalement Lazare.

— Avec un couteau, du bois et de la patience… Mais ce n’est qu’un chétit échantillon ; allons un peu à mon atelier, vous en verrez bien d’autres !

— Attends, dit Lazare, que j’aille reporter ceci au voisin.

Celui-ci accepta très gracieusement les excuses que lui présenta Lazare en lui remettant son porte-allumettes : — Vous avez là une bien jolie chose, monsieur, lui dit l’artiste.

— Oui, reprit le paysagiste ; j’ai trouvé cela à Fontainebleau, chez un marchand de curiosités.

— Ça coûte cher ? demanda Zéphyr.

— Assez, répondit le jeune homme ; il faut faire venir cela d’Allemagne ; j’ai payé cette boîte-là vingt francs.

— Eh bien ! moi, monsieur Lazare, dit tout bas Zéphyr à son compagnon, je l’ai vendue vingt sous.

Comme Lazare et l’apprenti traversaient le plateau, ils aperçurent de nouveau, au milieu de ses élèves, le professeur décoré ; d’une main il tenait sa montre, et de l’autre main il indiquait autour de lui le paysage rendu incandescent par l’ardeur du soleil.

— Messieurs, dit-il, il est midi ; c’est l’heure où le jaune de chrome règne dans la nature.

Au bout de trois quarts d’heure. Zéphyr amenait Lazare devant une grotte située dans la partie la plus solitaire des Longs-Rochers, et y faisait pénétrer l’artiste. Dans le creux d’une excavation masquée par une pierre étaient cachés une vingtaine d’objets de fantaisie en bois sculpté applicables à plusieurs usages. Lazare les examina les uns après les autres très soigneusement et très silencieusement ; quand il eut achevé, il prit Zéphyr par la main et lui dit : — À l’avenir, je te défends de faire une seule paire de sabots.

— Qu’est-ce que vous voulez donc que je fasse, puisque M. Protat… ?

— Il faut acheter des outils, — et faire ta fortune.

Henry Murger.

(La dernière partie au prochain n°).