Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/1212

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

confondre avec celle des préfets ou de s’en trop séparer. Il faut bien que quelques-uns de ces inconvéniens se soient manifestés, puisqu’un décret vient de supprimer les inspecteurs-généraux, en ne laissant subsister que des commissaires départementaux placés sous les ordres des préfets. Cela suffit bien d’ailleurs. Il est seulement à souhaiter que cette vaste et vigoureuse surveillance organisée dans le pays fasse moins sentir ce qu’il y a en elle d’étroit et de vexatoire que ce qu’elle a d’utile et de salutaire. On ne pourrait se plaindre certainement qu’elle s’appliquât à purger le pays de ces influences occultes qui vont ravager les âmes simples dans les campagnes. Nous tenons, quant à nous, pour une juste et morale mesure celle qui vient d’interdire la circulation par le colportage de tous ces récits de procès criminels et de causes prétendues célèbres. N’admire-t-on point en effet quelle saine et substantielle nourriture peuvent trouver des intelligences ignorantes dans toutes ces perversités ? Nous ne savons même jusqu’à quel point est utile la publicité donnée par la presse aux causes criminelles, du moins dans tous leurs détails. C’est là après tout un goût de décadence que ce besoin, de voir à nu les hontes, les scandales, les infamies secrètes de la vie sociale, ce penchant à s’intéresser aux meurtres romanesques. Il y a eu cependant un jour où les savans artifices d’une empoisonneuse ont réussi à tenir l’attention universelle en suspens, tandis que l’Europe était sur le point de s’enflammer ! Et qu’a-t-il fallu en 1848, si l’on s’en souvient, pour balancer l’intérêt de cette seconde et minutieuse profanation de la publicité imprimée au corps vierge d’une jeune fille, pour secouer l’opinion occupée à épier les gestes et les pâleurs d’un accusé ? Il n’a fallu rien moins qu’une révolution : digne réveil d’un plaisir de bas empire !

Voilà donc avec quel genre de récits prétend lutter une certaine littérature qui se dit populaire, parce qu’elle se vend bon marché, — plus encore qu’elle ne vaut. Heureusement ce n’est point là qu’il faut chercher les véritables symptômes littéraires, et, quelle que soit l’incertitude qui se fasse parfois sentir, l’esprit conserve un domaine inaccessible à de telles influences. Il vit par lui-même et pour lui-même. Nous parlions l’autre jour des tendances qui se dégagent du chaos contemporain, des écoles qui tendent à se former, des talens nouveaux qui s’élèvent et mûrissent. Soit, entrons donc dans cette région des tentatives nouvelles. Aussi bien il est on ne peut plus vrai qu’il existe une littérature différente de celle d’il y a vingt ans. Fit-elle les mêmes choses, elle les fait d’une autre manière. On la voit tour à tour s’inspirer de la réalité, de la fantaisie ou du bon sens ; elle réunit même parfois la finesse d’une observation pénétrante et une certaine grâce idéale de l’imagination, et ce qui prouve que ce sont là des qualités qui conservent encore leur attrait et leur empire, c’est le succès obtenu par les Scènes et Proverbes de M. Octave Feuillet, qui viennent d’être publiés de nouveau. M. Feuillet est une de ces rares natures auxquelles la vulgarité répugne, et qui portent dans les choses littéraires une distinction charmante. Il a su être original dans ses proverbes après M. Alfred de Musset. Si la Crise, le Pour et le Contre, la Clé d’or, sont des fruits cueillis au même arbre que le Caprice, ils gardent du moins leur propre et intime saveur. Ce qu’il y a de singulier, c’est qu’aucun théâtre n’ait songé encore à transporter sur la scène quelques-unes de ces esquisses où une