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REVUE. — CHRONIQUE.

périodique par Dunthorne, calculée par lui et par Pingré, elle était annoncée partout comme devant reparaître en 1848. Je substitue à mes inquiétudes sur la perte de cette belle comète les inquiétudes de sir John Herschel, qui ont bien une autre autorité. Voici comment il s’exprime dans son admirable ouvrage anglais intitulé Esquisses d’astronomie (Outlines of Astronomy), dont la préface est datée de 1849 : « Une autre grande comète dont le retour dans l’année 1848 a été considéré comme hautement probable par plusieurs éminentes autorités dans le département de l’astronomie est celle de 1556, qui, par la terreur qu’inspirait son aspect, détermina, suivant quelques historiens, l’abdication de l’empereur Charles-Quint… Quoique, au moment où ces lignes sont écrites, une telle comète n’ait point encore été observée, il faut attendre au moins qu’une seconde année s’écoule avant de prononcer que le retour de cette comète est une chose désespérée. »

Cependant 1849, 1850, 1851 et 1852 s’étaient écoulés, et la comète, cette grande comète, ne reparaissait pas ! En voici enfin des nouvelles que je prends dans l’excellent traité de M. Hind que je viens de recevoir : nous les devons à un savant calculateur de Middelbourg, dans la Zélande, M. Bomme, qui semble avoir résolu la question dans toute sa rigueur. Inquiet comme tous les astronomes de la non-arrivée de la comète, M. Bomme a repris tous les calculs et évalué toutes les actions de toutes les planètes sur cette comète de trois cents ans de révolution. Mois par mois, semaine par semaine, et jour par jour quand cela était nécessaire, M. Bomme, aidé du travail préparatoire de M. Hind, avec une patience tout à fait hollandaise, et surtout avec une de ces passions froides que l’on dit les plus énergiques de toutes, a calculé, au prix d’une vaste dépense de temps et de travail, toute la marche de la comète. Le résultat, complètement rassurant, de ce beau travail donne l’arrivée de cet astre en août 1858, avec une incertitude de deux ans en plus ou en moins, en sorte que de 1856 à 1860 nous aurons la grande comète qui a fait mourir le pape Urbain IV en 1264 et fait abdiquer Charles-Quint en 1556 ! À part toute idée relative aux progrès de l’esprit humain, quelle admirable science que celle des astres, et quels nobles travaux que ceux dont le travail de M. Bomme est un type ! « Si l’astronomie, a dit avec raison M. Arago, assigne inévitablement à l’homme une place imperceptible dans le monde matériel, elle lui décerne, d’autre part, une place immense dans le monde des idées[1]. »

Quoique mon dessein ne soit pas de sortir des limites de la science proprement dite, je ne puis m’empêcher de remarquer combien, au point de vue de nos idées actuelles, nous jugeons mal les événemens qui se sont produits sous l’influence d’autres opinions tout à fait opposées. On s’excuse maintenant de prêter aux hommes des anciens temps des croyances dont la futilité fait rougir notre siècle plus éclairé. On a voulu faire du pape Calixte III, qui en 1456 conjura la comète et les Turcs, un profond politique qui mettait en œuvre les moyens qu’il avait à sa disposition pour arrêter devant Belgrade les progrès du conquérant de Constantinople. Nous n’avons aucun motif de ne pas admettre la sincère persuasion de ce pape au sujet des pernicieuses influences des comètes dont personne ne doutait alors, pas plus qu’on n’en doutait, même un siècle plus tard, du temps de Charles-Quint. Devant Bel-

  1. Annuaire du Bureau des Longitudes pour 1853, p. 388.