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demment non. On ne pouvait engager les gens du monde à sacrifier, sur le Pont-des-Arts, quelques minutes pour regarder ce bel astre suspendu au-dessus de l’occident, astre dont ils savaient le retour prédit par les calculateurs, dont ils n’attendaient ni bien ni mal, et qui ne parlait pas même à l’instinct naturel de curiosité inhérent à tous les esprits. Mais remontons la chaîne historique des vingt-cinq apparitions de cette comète, depuis 1835 jusqu’à l’an 13 avant notre ère, en suivant les auteurs européens et les observateurs chinois qui nous ont transmis de si précieux documens. Ces réapparitions, constatées par Halley, M. Laugier et M. Hind, font pour nous un beau tableau scientifique ; mais que signifiait pour les contemporains l’apparition de cette même comète en 1456 ? (Je cite exprès les paroles de M. Hind et non celles de Laplace, dont on a contesté la précision rigoureuse.) « Cette comète fut vue en juin, et elle est décrite par les historiens de l’époque comme immense, terrible, d’une étendue démesurée, traînant à sa suite une queue qui couvrait deux signes célestes, c’est-à-dire soixante degrés ; elle fut regardée avec la même terreur par les Turcs sous les ordres de Mahomet II et par l’armée chrétienne, les uns et les autres considérant la comète comme un présage de défaite et un signe de la colère céleste. »

Remontons à l’apparition de la même comète en 1066. Tout le monde sait que c’est l’année de la conquête de l’Angleterre par les Normands, et c’est de cette année que la dynastie actuelle date son avènement à la royauté d’Angleterre. Le fameux duc de Normandie, Guillaume le Conquérant (William the Conqueror placé en tête de tous les almanachs anglais), avait rassemblé des hommes d’armes français et flamands, lesquels étaient d’acier pour entamer les Anglais, qui étaient de fer ; mais un de ses plus puissans auxiliaires, ce fut la comète qui porte maintenant le nom de Halley. Elle fut considérée en Angleterre comme le pronostic de la victoire des Normands, et inspira une terreur universelle qui contribua à la soumission du pays après la bataille d’Hastings, comme elle avait servi à décourager les Anglais avant la bataille. La comète est représentée sur la fameuse tapisserie de Bayeux, ouvrage de la reine Mathilde, femme du conquérant. Voilà des occasions où les préjugés donnaient une véritable importance aux comètes. Toutefois, après la brillante comète de 1811, qui inspira encore au peuple quelques craintes superstitieuses, les comètes, autrement que pour les savans, sont tombées dans le pire discrédit, l’indifférence.

Je saisis l’occasion de rectifier une assertion qui, je le crains, n’aura pas troublé beaucoup le calme d’âme des lecteurs de cette Revue. J’ai dit que la grande comète qui met à peu près trois cents ans dans sa course, qui avait paru la dernière fois en 1556, et qui devait reparaître en 1848, manquait depuis lors au rendez-vous. On peut se tranquilliser. Nous aurons la comète, mais en temps convenable. D’abord établissons qu’il ne s’agit pas d’une de ces petites comètes visibles seulement au télescope, dont la première moitié de ce siècle nous a déjà donné quatre-vingts et les dix dernières années seules trente-huit. Combien pensez-vous qu’il y ait de comètes dans le ciel ? demandait-on à Képler. Il répondit : Autant que de poissons dans la mer, sicut pisces in oceano. La comète de 1556 et de 1264 est une des plus grandes dont les historiens européens et chinois fassent mention. Elle a été vue en 975, en 683, en l’an 104, et toujours avec un éclat extraordinaire. Reconnue comme