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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/125

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dans l’Asie orientale? Il y avait là, pour eux, les élémens d’une imposante médiation qui eût été en mesure de prévenir ou de pallier la honte des derniers désastres. Malheureusement le cabinet de Pékin ne songeait guère à ces détails de politique extérieure, et sa diplomatie n’allait pas si loin.

Dès 1840, les Ghorkas, tribu puissante qui touche à la fois aux frontières de la Chine et à celles de l’Inde, s’abouchèrent avec le ministre chinois qui réside à Lhasa (Thibet), et lui offrirent leur concours contre les Anglais: ils auraient pu, dit le ministre de Lhasa, envahir l’Inde, s’emparer du pays qui produit l’opium, et tarir ainsi la principale ressource de l’ennemi; mais les. Ghorkas demandaient qu’on leur envoyât d’abord des canons et des hommes, et plus tard ils jugèrent prudent de demeurer neutres. Les empires d’Ava et de Cochinchine gardèrent la même réserve, en sorte que, par son imprévoyance et par suite du peu de confiance qu’elle inspirait, la cour de Pékin perdit ses alliés naturels et resta seule exposée aux coups des barbares.

D’après les documens chinois consultés par sir John Davis, un officier russe, accompagné d’un détachement de Cosaques, serait arrivé dans le Turkestan, au commencement de 1841, en sollicitant la permission d’entrer en Chine. L’empereur aurait répondu par un ordre d’expulsion et fait ramener l’officier russe et ses Cosaques de brigade en brigade jusqu’à l’extrême frontière. On suppose que le but de cette mission était d’enseigner aux troupes chinoises le maniement du fusil et la manœuvre du canon. Comment vérifier l’exactitude d’un pareil récit? Les historiens du Céleste Empire ne sauraient être crus sur parole, et cette apparition subite d’un officier russe à la frontière, ce refus dédaigneux de l’empereur, cet escadron de Cosaques expulsé si cavalièrement et reconduit entre les rangs de gendarmes chinois, tout cela n’est probablement qu’une fable sortie de l’imagination des mandarins. D’ailleurs, si le tsar avait eu la pensée très-ambitieuse d’apprendre l’exercice aux Chinois, il lui eût été fort aisé de connaître à l’avance les dispositions de la cour de Pékin par l’intermédiaire du collège russe établi dans cette capitale. Les relations avantageuses que la Russie entretient avec la Chine sur le marché de Kiakhta, aux confins de la Sibérie, permettent jusqu’à un certain point de croire que le tsar, désireux d’étudier de plus près la politique suivie à l’égard de l’Angleterre, aurait envoyé dans les provinces du nord, des émissaires chargés de lui rendre compte des événemens. Peut-être encore quelque officier de fortune, s’ennuyant au fond d’une garnison de Sibérie, sera-t-il venu offrir son épée et ses services, à l’exemple de ces nombreux officiers français, italiens, espagnols, que l’on retrouve au milieu des armées asiatiques. En tout cas, malgré le secret dépit que devait inspirer au gouvernement russe le triomphe des Anglais, il n’est point présumable que les faits se soient passés officiellement ainsi que le rapportent les documens chinois.

La France n’était point aussi directement intéressée que la Russie aux conséquences de la guerre. Depuis longtemps nous avons à peu près renoncé à disputer à la Grande-Bretagne le rôle prépondérant en Asie : nous avons perdu l’Inde; notre navigation et notre commerce sont presque nuls dans les mers de l’extrême Orient. Fatale abdication que nous ont imposée les secousses révolutionnaires et la triste issue de nos luttes européennes! La France devait donc envisager avec une certaine indifférence les événemens qui mettaient