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trouvent étrangères à l’esprit de gouvernement et livrées à l’antagonisme le plus mesquin, le plus tracassier, le plus turbulent. Leurs jalousies et leurs discordes implantent l’anarchie au sommet de la société en attendant qu’elle descende dans les couches inférieures. « Il y a, écrivait à cette époque Montesquieu, il y a en France trois sortes d’états, l’église, l’épée et la robe. Chacun a un mépris souverain pour les deux autres. » Tel est en effet le lien des trois classes qui à cette époque composent l’aristocratie française. Tantôt c’est la noblesse d’épée qui triomphe de voir les prétentions des parlemens momentanément réprimées par des lits de justice, et il faut lire avec quelle exaltation de haine et de dédain le duc de Saint-Simon célèbre ce triomphe[1] ; tantôt c’est la morgue parlementaire qui s’étale dans toute sa splendeur et s’efforce de courber toutes les têtes sous la suprématie qu’elle s’arroge[2]. Toutefois cette lutte sourde, invétérée, du patriciat et de la robe, cette lutte entremêlée d’alliances passagères contre l’arbitraire ministériel n’est rien auprès du conflit éclatant, acharné, permanent du parlement et du clergé : conflit sans issue, car chacun des contendans se prétend juge suprême dans la

  1. « Ce fut là, dit-il, où je savourai, avec toutes les délices qu’on ne peut exprimer, le spectacle de ces fiers légistes qui osent nous refuser le salut, prosternés à genoux et rendant à nos pieds un hommage au trône, tandis que nous étions assis et couverts sur les hauts sièges aux côtés du même trône. Ces situations et ces postures si grandement disproportionnées plaident seules avec tout le perçant de l’évidence la cause de ceux qui véritablement et d’effet sont laterales regis contre ce vas electum du tiers-état. Mes yeux, fichés, collés sur ces bourgeois superbes, parcouraient tout ce grand banc à genoux ou debout, et les amples replis de ces fourrures ondoyantes à chaque génuflexion longue et redoublée… vil petit-gris qui voudrait contrefaire l’hermine en peinture, et ces têtes découvertes et humiliées à la hauteur de nos pieds… Pendant l’enregistrement, je promenais mes yeux doucement de toutes parts, et si je les contraignis avec constance, je ne pus résister à la tentation de m’en dédommager sur le premier président : je l’accablai donc à cent reprises dans la séance de mes regards assénés et forlongés avec persévérance. L’insulte, le mépris, le dédain, le triomphe, lui furent lancés de mes yeux jusqu’en ses moelles ; souvent il baissait la vue quand il attrapait mes regards. Une fois ou deux il fixa le sien sur moi, et je me plus à l’outrager par des sourires dérobés, mais noirs, qui achevèrent de le confondre. Je me baignais dans sa rage, et je me délectais à le lui faire sentir. » Mémoires du duc de Saint-Simon, édit. in-8o, t. XVII, p. 140 et suiv.
  2. Voici comment le parlement de Toulouse traite un duc et pair, gouverneur du Languedoc, et exécutant les ordres du roi : « La cour, toutes les chambres assemblées, considérant que le duc de Fitz-James, parvenu aux derniers excès de l’audace et du délire, oubliant sa qualité de sujet, aurait osé parler en souverain aux membres de la cour, mettre à leur liberté des conditions insensées, etc., ordonne que ledit duc de Fitz-James sera pris et saisi au corps en la part où il sera trouvé dans le royaume, conduit et amené sous bonne et sûre garde dans les prisons de la conciergerie de la cour, et, ne pouvant être appréhendé, ses biens seront saisis, etc. » Il va sans dire que l’arrêt ne fut point exécuté, mais le duc de Fitz-James fut rappelé, quoique le roi déclarât expressément qu’il n’avait fait qu’obéir à ses ordres.