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les formes du respect, remontent sur leurs sièges au milieu des applaudissemens de la population, des illuminations, des feux de joie, des Te Deum et des députations de toute la province qui viennent les féliciter de leur énergie.

C’est sous ce régime pernicieux des conflits de pouvoirs qu’ont été élevés nos pères, c’est ainsi que la France se préparait peu à peu à l’anarchie ; c’est ainsi qu’en voyant chaque jour sur tous les points du pays l’église en lutte avec la magistrature, la magistrature en lutte avec la royauté, le peuple contractait de plus en plus le mépris de l’autorité et l’idolâtrie de la force. Certes, les parlemens, fondés d’abord spécialement pour rendre la justice, eussent été embarrassés pour démontrer la légitimité du droit qu’ils s’arrogeaient de représenter la nation et de contrôler l’autorité royale. « Un des plus éclairés, dit Duclos, et des plus zélés parlementaires, à qui je demandais de me marquer précisément les bornes qui séparent l’usurpation d’avec le droit des parlemens, me répondit : Les principes en cette matière sont fort obscurs ; mais, dans le fait, le parlement est fort sous un roi faible et faible sous un roi fort. — Un ministre de bonne foi donnerait peut-être la même réponse, s’il était obligé de s’expliquer sur la puissance royale relativement à la nation. » On voit que le droit des parlemens était douteux, mais celui de la royauté ne l’était pas moins ; sur la terre de France, le despotisme pur et simple a pu être accepté quelquefois comme un fait, il n’a jamais été reconnu comme un droit. Fatiguée des sanglantes convulsions du XVIe siècle et des troubles de la fronde, la France s’était courbée docilement sous le sceptre glorieux de Louis XIV ; mais ce sceptre, tombé aux mains de Louis XV, ne lui inspirait plus de respect ; la prétention d’un roi gouverné par des femmes avilies et des favoris méprisés — de disposer d’elle à son gré et de ne rendre compte de ses actes qu’à Dieu — la blessait dans sa fierté. L’esprit de résistance à l’arbitraire était l’esprit général, les parlemens se présentaient comme l’unique barrière qu’on pût opposer aux caprices d’un pouvoir déréglé, et quels que fussent les vices particuliers de ces corps amphibies, à la fois judiciaires et politiques, malgré leur morgue, leur fanatisme du statu quo, leur opposition systématique à toutes les réformes, même les plus justes et les plus sages, chaque fois qu’ils entraient en lutte avec la royauté, ils avaient pour eux les sympathies de l’opinion.

Appuyés sur cette faveur de l’opinion, les parlemens voyaient leur ascendant grandir chaque jour. Étroitement unis les uns aux autres, ils se déclaraient les membres d’un seul et même corps indivisible, inhérent, disaient-ils, à la monarchie, organe de la nation, dépositaire essentiel de sa liberté, de ses intérêts et de ses droits, et chacun de leurs combats contre la royauté se terminait par une victoire,