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le parlement entrait en lutte avec le pouvoir royal : refus d’enregistrement, lit de justice, persistance du parlement, exil ou emprisonnement des magistrats, concessions réciproques, soumission ou victoire du parlement suivant les circonstances, réconciliation d’un jour bientôt suivie de nouveaux combats, telles étaient les phases ordinaires de la lutte à Paris. En province, le conflit d’autorité entre la royauté et le parlement prenait un caractère beaucoup plus grave et plus dangereux. L’éloignement du pouvoir central, l’obligation d’employer des intermédiaires, le mépris de chaque parlement pour tout ce qui n’était pas la royauté elle-même en personne, et, d’un autre côté, la brutalité des agens militaires chargés de faire triompher la volonté du roi, tout cela provoquait journellement des scènes qui démoralisaient les populations. Un remarquable et consciencieux ouvrage publié de nos jours[1] nous met à même d’apprécier ce côté moins connu de l’anarchie officielle au XVIIe siècle. On y voit la royauté s’efforçant en vain de faire reconnaître l’autorité du conseil d’état ou grand conseil, par lequel elle fait casser les arrêts des parlemens ; ceux-ci refusant de livrer leurs registres aux huissiers du grand conseil chargés de biffer leurs arrêts. Souvent un huissier du grand conseil et un huissier du parlement de la province viennent intimer aux habitans d’une même commune deux ordres diamétralement contraires, et celui des huissiers qui a des gendarmes fait arrêter l’autre. Plus loin, on voit le roi envoyant un officier-général avec des troupes pour dompter le parlement. Les magistrats le reçoivent sur leurs sièges et refusent de livrer leurs registres. Des officiers de dragons s’emparent des registres, et, la plume à la main, bâtonnent les sentences de la justice. Les magistrats décrètent d’accusation les exécuteurs des ordres du roi et font proclamer leur jugement sur les marches mêmes du palais, devant la population émue. Le gouverneur de la province fait saisir toutes les presses pour empêcher la publication de l’arrêt des magistrats. Le procureur-général, sommé à la fois par les deux autorités en conflit de faire transmettre à tous les juges du ressort deux arrêts contradictoires et n’osant résister à personne, se met en devoir de promulguer en même temps le oui et le non. Le parlement suspend l’administration de la justice pendant quatre mois, jusqu’à ce que le roi ait fait droit à ses remontrances. Tous les autres parlemens prennent fait et cause pour celui qui résiste. Le roi irrité mande les magistrats à Versailles, les réprimande, les exile, puis finit toujours par céder et par révoquer ses propres actes avec les formes les plus impératives, tandis que les magistrats, toujours victorieux avec

  1. L’Histoire du Parlement de Normandie, par M. Floquet. Il serait bien à désirer que chacun des douze parlemens de l’ancienne France fût l’objet d’un travail aussi distingué.