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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/179

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points qui forment un cercle brillant, comme était celui de cette femme charmante, éblouissent, fatiguent une sauvage de mon espèce jusqu’à l’empêcher de les distinguer.

« Recevez mes remerciemens de l’enthousiasme où vous entraînez vos lecteurs et les assurances de la véritable estime avec laquelle j’ai l’honneur d’être, monsieur, etc.

« Guichard de Meinières. »
« Ce 18 février 1774. »


« Quel que soit l’événement de votre querelle avec tant d’adversaires, je vous félicite, monsieur, de l’avoir eue ; il en résultera toujours que vous êtes le plus honnête homme du monde, puisqu’on n’a pu, en feuilletant votre vie, démontrer que vous étiez un scélérat, et assurément vous vous êtes fait connaître pour l’homme le plus éloquent dans tous les genres d’éloquence qu’il y ait dans notre siècle. Votre prière à l’Être suprême est un chef-d’œuvre de sublime et de comique, dont le mélange étonnant, ingénieux, neuf, produit le plus grand effet. J’avoue avec Mme Goëzman que vous êtes un peu malin, et, à son exemple, je vous le pardonne ; car vos malices sont délicieuses. J’espère, monsieur, que vous n’avez pas assez mauvaise opinion de moi pour me plaindre d’une lecture de cent huit pages quand vous les avez écrites. Je commence par les dévorer, et puis je reviens sur mes pas ; je m’arrête tantôt sur un endroit digne de Démosthène, tantôt sur un autre supérieur à Cicéron, et enfin sur mille aussi plaisans que Molière ; j’ai tellement peur d’achever et de ne pouvoir plus rien lire ensuite, que je recommence chaque alinéa pour vous donner le temps de produire votre cinquième mémoire, où l’on trouvera sans doute votre confrontation avec M. Goëzman ; je vous demanderai volontiers en grâce de m’avertir seulement par la petite poste la veille que le libraire en enverra des exemplaires à la veuve Lamarche ; c’est elle qui me les a toujours fournis. J’en prends plusieurs à la fois pour nous et pour nos amis[1], et je suis furieuse lorsque, faute de savoir qu’ils paraissent, j’y envoie trop tard, et qu’on me rapporte qu’il faut attendre au lendemain. »


C’était à qui enverrait à Beaumarchais des renseignemens, des conseils, des félicitations et des encouragemens. Plusieurs même poussent la bienveillance jusqu’à lui adresser modestement des mémoires tout faits, comme si son esprit ne pouvait se passer de leur concours. Voici un de ces correspondans qui ne signe pas, mais qui me fait tout l’effet d’être un membre de l’ancien parlement ; il envoie un mémoire, recommande instamment le secret, et termine ainsi : « La machine se détraque, on vous en a l’obligation, ne serait-ce pas le moment le frapper les grands coups ? Je m’en rapporte à votre prudence pour le tout. D’après vos écrits, je vous crois aussi honnête homme que moi, ce que je ne dirais pas de tout le monde ; je

    les mémoires sur ceux qui ne connaissaient Beaumarchais que comme un homme du monde très gai et un peu fat, ayant (pour employer l’expression fine et polie de Mme de Meinières) de la confiance.

  1. Nos amis, c’étaient les membres de l’ancien parlement.