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née qui s’en va ? C’est à lui surtout qu’il faut souhaiter de voir se relever les jours de l’inspiration et de la fécondité au seuil de cette période nouvelle. Que l’année 1853 ait de riches moissons pour compenser celles que nous n’avons pas cueillies jusqu’ici ! Et cependant voici un des plus rares esprits de ce temps qui vient de s’enfoncer tout exprès dans les curiosités historiques de la Russie pour nous retracer la romanesque destinée d’un de ces aventuriers mystérieux qui arrivent à tout, même au trône. Cet esprit, c’est M. Mérimée, et son histoire est celle des faux Démétrius. Dans la peinture de cette existence asritée et hasardeuse, M. Mérimée se retrouve avec cette sobriété et ce nerf d’un talent accoutumé à se mesurer avec les réalités les plus étranges. N’en voyait-on pas l’autre jour un exemple ici même dans ces scènes rapides et fortes où revit l’aventurier russe ? Le prétendu fils d’Ivan-le-Terrible est son héros, cette fois, comme Colomba ou Carmen, seulement avec l’exactitude historique de plus. Une chose bizarre d’ailleurs et qu’il est facile de remarquer, c’est que M. Mérimée semble être un aussi bon historien dans ses récits d’imagination que dans ses histoires véritables ; il met autant de relief et de vie réelle dans les personnages qu’il invente et qu’il crée que dans ceux dont il recueille les traits éparsdans lesdocumens poudreux. À quoi cela tient-il, si ce n’est à la nature spéciale d’un talent merveilleusement doué pour le récit ou le conte ? M. Mérimée a surtout dans ses tableaux la fermeté, la netteté, la précision du trait, qualités plus rares que jamais aujourd’hui, et qui ne se retrouvent ni au théâtre, ni dans le roman, ni en rien de ce que l’imagination enfante.

Pour peu qu’on observe en effet la littérature actuelle, il est facile de le remarquer, ce qui manque le plus, c’est une certaine mesure dans l’invention comme dans le langage, c’est cette force secrète qui se contient et ne se répand qu’à moitié, c’est un certain art de composition qui proportionne les faits, les passions, les sentimens, les nuances diverses d’un caractère, et fasse vivre cela d’une vie nette, réelle et logique. Ce qui fait défaut dans notre siècle, ce n’est point certes l’art du développement : c’est l’art du développement juste. Avec quelques-unes de ces qualités de plus, la comédie jouée l’autre jour au Théâtre-Français, le Cœur et la Dot, n’eût-elle point été infiniment moins contestable ? Il y avait là des germes, sans nul doute ; il y avait une idée, bien qu’assez peu nouvelle ; il y a des ébauches de caractères et des échappées sur les mœurs. Aux premières scènes du drame, il semble que tout se dispose pour ne représenter qu’un monde vivant et vrai ; mais bientôt l’auteur laisse échapper le fil, la logique va où elle peut, le factice se mêle à tout, l’action n’est plus qu’une série de complications puériles, et on ressent cet indicible malaise que vous cause toute œuvre où le comique vous laisse sérieux et distrait. Il faut bien pourtant que cette pauvre année finissante et cassée se déride un peu et nous réserve du moins quelque réjouissante aventure littéraire. Nous tenons le Monde des Oiseaux de M. Toussenel pour très supérieur en ce genre à toute comédie. Quoi ! la comédie, direz-vous, dans une étude ornithologique, dans la peinture des oiseaux, de leurs lois et de leurs mœurs ? Oui, vraiment puissance de la magie phalanstérienne et de l’accord de la tonique avec la dominante ! le monde des oiseaux n’est-il point en réalité la plus invincible démonstration de la loi du progrès humanitaire par le pha-