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lanstère ? La formule du gerfaut, telle que la révèle l’auteur, ne résume-t-elle pas la prochaine évolution de l’humanité qui doit faire succéder le règne de la femme au règne de l’homme ? Nous ne pouvons nier au surplus que l’auteur n’ouvre des aperçus historiques d’une véritable nouveauté. Savez-vous, par exemple, pourquoi la révolution française a si fastueusement échoué à deux reprises ? C’est parce que les assemblées ont négligé de décréter l’égalité de la femme et même sa supériorité, si nous ne nous trompons. Tout est là en effet : prééminence de la femme. Savez-vous à quoi tiennent les malheurs de la France ? C’est à l’iniquité de la loi salique. Et savez-vous, au contraire, à quoi tient la grandeur de l’Angleterre ? C’est que les Anglais font le plus d’efforts possibles pour ressembler à des femmes en se rasant sans cesse. Nous n’inventons rien à coup sûr, et nous trouvons qu’il serait amusant de suivre encore l’auteur. Gageons que l’autre soir, quand lord Derby et M. Disraeli sont tombés du ministère, c’est qu’ils avaient oublié de se raser de frais, en quoi la destinée anglaise et la loi du progrès humanitaire étaient également en défaut.

Heureusement pour elle l’Angleterre s’occupe de choses plus sérieuses, et ses crises ministérielles rappellent à un monde plus réel.

Le cabinet présidé par lord Derby vient de tomber du pouvoir, comme on sait ; il aura à peine existé quelques mois ; l’année 1852 l’aura vu naître et mourir. Le ministère anglais est tombé justement sous le poids de ce plan de finances de M. Disraeli, qui était certainement une des œuvres les plus remarquables et les plus habiles, et qui au point de vue politique semblait le mieux combiné pour diviser, neutraliser et annuler les oppositions. Que reste-t-il maintenant du passage de lord Derby et de M. Disraeli aux affaires ? Il reste au-dessus de tout un fait important, c’est l’acquiescement des chefs du parti tory à la liberté commerciale et aux grandes réformes économiques de sir Robert Peel ; mais cette adhésion même n’a pu les sauver du naufrage. Le dernier cabinet n’avait point sans doute une grande force dans les communes : sa majorité était numériquement peu considérable et il avait contre lui la plupart des illustrations parlementaires ; mais cette majorité était compacte en face d’adversaires divisés, et il pouvait vivre à la faveur de ces divisions : il tirait sa raison d’être de l’impuissance de chacune des fractions parlementaires à former par elles-mêmes un gouvernement. La force des oppositions était dans une coalition possible, qui s’est effectivement réalisée au dernier moment sur les propositions financières de M. Disraeli, et il en est résulté cette situation, unique peut-être en Angleterre, qui a fait monter au pouvoir tout ensemble lord Aberdeen et lord John Russell, lord Palmerston et M. Gladstone, sir James Graham et sir Charles Wood, en un mot tous les chefs de partis, tories, whigs, peelites, et jusqu’aux radicaux, représentés dans le nouveau cabinet par sir W. Molesworth. Chose étrange, lord Aberdeen et lord John Russell se sont combattus toute leur vie, et les voilà réunis dans un même ministère. Il y a quelques mois à peine, lord John Russell évinçait aigrement du cabinet dont il était le chef lord Palmerston, lequel peu après à son tour renversait lord John Russell dans le parlement, et tous deux aujourd’hui se retrouvent ensemble au pouvoir. Par une anomalie nouvelle, c’est lord Russell qui passe au Foreign-Office, et lord Palmerston est à l’intérieur. Au fond