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de Bolingbroke, jugea nécessaire de désavouer la nouvelle publication. Le novice auteur, en reproduisant avec adresse les artifices et les beautés d’un style admiré, avait adopté une thèse manifestement fausse comme fondement ruineux d’une déduction puissante et peut-être irrésistible, espérant ainsi prémunir les esprits contre la tromperie possible de toute dialectique éloquente. Nous devons convenir que l’ouvrage, est bien écrit, le raisonnement spécieux, les preuves exposées avec suite et clarté, et qui le lirait sans être averti pourrait croire l’auteur de bonne foi, ou lui attribuer la sincérité relative d’un esprit paradoxal dont les opinions sont des caprices ou des moyens de briller. On imaginerait aisément lire quelque chose comme le discours de Rousseau sur les sciences et les arts, comme un de ces ouvrages que l’auteur commence sans conviction et qui finissent par le persuader à mesure qu’il les écrit.

Il paraît que le premier effet fut équivoque, et l’idée mal comprise, preuve au reste que l’auteur avait réussi, car l’illusion était son but. Dans la préface d’une nouvelle édition, il expliqua sa pensée, et l’on sut enfin que ce débutant, qui se montrait déjà maître des secrets du métier, promettait un défenseur de plus aux conventions et aux croyances générales de l’humanité. Ce point nous frappe dans ce premier essai. Burke y paraît déjà ce qu’il fut toujours, même au temps où il brillait au premier rang des défenseurs de la liberté politique, l’adversaire déclaré des nouveautés hasardeuses et des utopies subversives qui furent de vogue au dernier siècle, et-qui ne manquent jamais de se produire à la veille des transformations sociales. Burke était un écrivain hyperbolique plutôt qu’un écrivain paradoxal; ses opinions étaient d’ordinaire pratiques et modérées, bien qu’exprimées souvent sans modération. Ce n’est pas son esprit, mais son talent qui était original et hardi. Penseur sage, avec un cœur passionné et une ardente imagination, il a dû plus d’une fois donner le change à ses amis et à ses ennemis, et c’est un contraste dont il faut tenir compte, si l’on veut le bien juger.

Nous regardons d’ailleurs comme assez puérile la supercherie littéraire de son premier écrit. Il est trop long pour n’être pas sérieux. Quand on le croit sincère, il impatiente; quand on le sait ironique, il ennuie. Son plus grand mérite est de manifester dans un début l’habileté savante d’un écrivain expérimenté.

La réputation de Burke pouvait commencer alors; mais, la même année 1756, il l’établit, autant que le peut faire un auteur qui ne signe pas ses ouvrages, en publiant ses Recherches philosophiques sur l’origine de nos idées du sublime et du beau. C’est un pendant de l’ouvrage d’Hutcheson sur l’origine des idées de beauté et de vertu. On sait que Hutcheson, Irlandais comme Burke, devint