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professeur à Glasgow, et fut le fondateur de l’école écossaise. Burke, ayant songé à lui succéder, avait étudié ses écrits, et il se sentit excité à marcher sur ses pas. De là le seul livre qu’il ait fait, ou du moins le seul de ses ouvrages qui ne soit pas de circonstance, et dont on cite encore le titre plus qu’on n’en connaît le contenu. Le sujet était assez à la mode. Hogarth, le peintre spirituel, avait récemment publié son Analyse de la beauté, ouvrage médiocre de métaphysique et d’art, dont l’une des belles Gunning, célébrées par H. Walpole, lady Coventry, disait avec ennui : «Encore un ouvrage sur moi! c’est insupportable. » Le livre de Burke pouvait difficilement donner lieu à la même méprise, quoique Dugald Stewart lui reproche d’avoir, en le composant, trop exclusivement eu devant les yeux pour exemple du beau la beauté des femmes.

Dans une dissertation préliminaire sur le goût, Burke appelle ainsi la faculté ou les facultés de l’esprit qui sont affectées par les ouvrages d’art ou d’imagination, ou qui servent à en porter un jugement. Quoiqu’on accuse ces affections de varier sans aucunes règles, l’identité, chez tous les hommes, des moyens de communication avec les objets extérieurs ne permet pas d’admettre que cette diversité soit infinie. Tous trouvent que l’amer est amer et que le doux est doux; pour tous, la lumière est plus agréable que l’obscurité. Quoique le degré de plaisir ou de peine attaché aux sensations puisse varier d’un homme à un autre, l’imagination est soumise à une certaine uniformité comme les sensations mêmes. C’est par une loi générale de sa nature qu’elle se plaît aux images, aux comparaisons, aux métaphores. Point d’homme qui, la première fois qu’il voit une statue, n’éprouve un plaisir qui ne diffère qu’en raison de l’éducation, des études et des souvenirs. Nous aimons de la même manière les ouvrages d’esprit, sans aimer également les mêmes ouvrages, parce que les intelligences ne sont pas douées de la même puissance, de la même délicatesse, et n’ont pas reçu la même culture. Nos passions ajoutent à ces différences, dès qu’au lieu d’images qui parlent aux sens il s’agit des choses morales. Au fond, le goût ne varie en ces matières que parce que la sensibilité et le jugement ne sont pas constamment parfaits, et cela même prouve qu’il y a une telle chose qu’une sensibilité vive, qu’un jugement droit. Or les causes qui altèrent la sensibilité ou le jugement sont accidentelles; viennent-elles à suspendre leur action, le goût se redresse et reprend son uniformité. Tout le monde alors juge de même en matière de goût, quoique tout le monde ne goûte pas le même genre de beauté avec le même plaisir. Il y a donc une logique du goût.

Mais si le goût n’est pas arbitraire, s’il n’est pas une pure affection individuelle, il faut que nous ayons tous des idées de beau et