Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/228

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

courtisan. En aucun temps non plus, malgré l’étendue de son esprit, il ne s’est beaucoup soucié de l’abus qu’on pouvait faire de ses idées; jamais il n’a embrassé une opinion à demi pour la soutenir faiblement. Ce fut donc sans hésitation ni scrupule, ce ne fut ni par intérêt ni par imitation, mais avec conviction, mais avec feu, qu’il se jeta dans le parti du pays, comme s’appelait alors l’opposition. Il ne crut pas un moment faire ainsi preuve d’infidélité ou d’indifférence à la cause de la monarchie ni de l’ordre, qui ne lui semblait nullement en question. Ce sont là des craintes d’un autre temps, et c’était dès lors l’heureux privilège de l’Angleterre qu’on pouvait y combattre pour la liberté sans avoir les allures d’un tribun ni les passions d’un novateur.

En 1765, sans que la majorité eût changé dans le parlement, le ministère changea. Il se sentait miné à la cour et dans le public. Cette retraite honora Grenville sans le rendre populaire ; mais ses adversaires prirent sa succession, et lorsque le marquis de Rockingham eut formé son ministère, M. Fitzherbert lui présenta Burke, qu’il choisit pour son secrétaire particulier.

Il suffit de s’approcher du pouvoir pour rencontrer la délation. Presque aussitôt on dénonça (il paraît que ce fut le duc de Newcastle), on dénonça au premier ministre Burke comme un jacobite et un papiste déguisé. Il donna à l’instant sa démission ; mais Rockingham était un homme juste et bienveillant, capable de reconnaître la loyauté; il voulut garder Burke, qui devait être un si fidèle ami. Bientôt même le nouveau secrétaire entra dans la politique pour son propre compte. Par un arrangement avec lord Verney, qui fut nommé membre du conseil privé, il siégea au parlement pour le bourg de Wendover, Buckinghamshire. De ce jour, sa destinée fut accomplie. L’homme de lettres, dont la conversation était déjà éloquente, paraissait sur le théâtre où le talent n’a d’égal que le talent, là où il ne devait relever que de lui-même. Burke est du petit nombre de ceux qui, n’étant rien, sont arrivés à tout, car c’est être tout que se faire écouter d’un peuple libre. « Burke a la grandeur naturelle, disait Johnson; il lui faut la grandeur civile. »

La question pour laquelle avait été formé le cabinet était, pour employer les désignations abréviatives de la langue parlementaire, la question américaine. Elle fut l’occasion du premier discours de Burke (janvier 1766 ; il n’en reste pas de traces, ni d’aucun de ceux qu’il prononça jusqu’en novembre 1767; mais son début fut très brillant; Pitt lui adressa un de ces éloges que l’on regardait comme des passeports pour la renommée. Lord Charlemont, son ami, Richard Burke, son frère, William, son cousin, qui venait d’être élu et qui était sous-secrétaire d’état sous Conway, virent leurs plus