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goûts, sa vie future. Il avait perdu son père et son frère aîné, et, joignant à leur héritage ce qu’il dut à la générosité du marquis de Rockingham, il acheta dans le Buckinghamshire le domaine de Gregories, près de Beaconsfield. Ce bien devint pour lui un séjour de prédilection. Il y fit des travaux utiles et des travaux d’agrément. Il se prit de goût pour l’agriculture, et l’on assure qu’il y devint habile; mais il ne devint jamais riche, et, quoi qu’en dise son biographe Prior, il parait avoir eu bien souvent à lutter contre de sérieux embarras de fortune.

Le général Conway était resté dans le nouveau ministère; Burke devint donc le leader ou le guide dans le parlement du parti de l’ancien cabinet. Pitt était retiré dans la chambre des lords, et Charles Fox n’était pas encore dans celle des communes; Burke s’en trouva le premier talent. Son opposition fut vive et brillante. Le ministère, que ne gouvernait pas son chef apparent, le duc de Grafton, cherchait des alliances, et Conway, qui voulait n’être resté au pouvoir que pour rapprocher les partis, essaya une conciliation que Burke, dans ses lettres, loue Rockingham d’avoir refusée (1er avril 1767). L’abandon que fit alors Conway des fonctions de secrétaire d’état, la séquestration étroite à laquelle Chatham malade se condamnait, la mort soudaine du chancelier de l’échiquier, Charles Townshend, vinrent ajouter à la nécessité d’une recomposition ministérielle. Lord North succéda à Townshend, et l’accession des amis du duc de Bedford, ancien collègue de Grenville, acheva d’altérer le caractère plus franchement libéral que le nom et la présence de Chatham auraient dû conserver à cette administration. Burke se prévalait de tous ces avantages, et contre un cabinet flottant et faible, il fit d’énergiques appels à l’opinion publique, qui commença à reconnaître sa voix.

Pas plus que l’orateur, l’écrivain ne manqua à sa cause. George Grenville avait publié ou fait publier une défense du ministère de lord Bute et du sien. George Grenville était ce qu’on appelle dans le monde politique un homme d’affaires. Il en avait toutes les qualités, excepté celles qui d’un homme d’affaires feraient un homme d’état. Exact, laborieux, passionné pour le bien public, indifférent aux plaisirs du monde et aux jouissances de l’esprit, il ne se plaisait que dans le maniement et la discussion des intérêts positifs du gouvernement. Les yeux constamment fixés sur la balance de-fin d’année, il était consterné et scandalisé toutes les fois que l’équilibre du doit et de l’avoir était sacrifié à la politique. Persuadé que lui seul comprenait le danger et pouvait le conjurer, il soutenait audacieusement que tout était perdu. A lire le pamphlet qu’il avait écrit ou signé, la guerre de sept ans était la ruine de l’Angleterre. Par un éclat trompeur, elle avait fasciné l’Europe et humilié la France, qui ne savait pas combien